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et affaiblir les qualités primitives ; elle est incapable d’enfanter autre chose qu’un ordre social bâtard et sans originalité. Cette facilité d’assimilation indique en outre une grande mollesse de nature, une incapacité absolue de résistance, et l’absence de tout sentiment profond, de toute solide attache à une tradition quelconque. L’intelligence des Hawaïens ressemble, cela est fort à craindre, à celle des enfans prodiges. L’Europe a sa bonne part de reproches à se faire dans l’éclosion hâtive de ces trop rapides sociétés qui poussent artificiellement comme des fleurs de serres chaudes. Elle croit faire œuvre de civilisation en poussant autant qu’elle peut la roue du progrès, et souvent elle ne fait qu’une œuvre de destruction. C’est malheureusement ce qui arrive aux îles Sandwich.

Il se passe en effet dans cet archipel un phénomène singulier que constatent tous les voyageurs, et dont aucun ne donne la raison. La dépopulation des îles Sandwich marche avec une excessive vitesse. À l’époque de la découverte, l’archipel comptait près de deux cent mille âmes ; en 1848, il n’en avait plus que 80,000, et M. Hill estime que pendant son séjour dans les îles 10,000 indigènes étaient morts de diverses épidémies régnantes à cette époque ; 70,000 âmes est la moyenne de population que les voyageurs attribuent à ces îles. À quelle cause faut-il attribuer ce phénomène de destruction ? Aux maladies que leur ont apportées les Européens, telles que la dyssenterie, la grippe, la rougeole, et d’autres encore qui défient toute dénomination ? La raison véritable est, je crois, beaucoup plus morale et politique. Ces Hawaïens dociles, qui s’assimilent si promptement les institutions civilisées, semblent ne pouvoir cependant supporter l’éclat de la civilisation ; elle les énerve et les tue. Dans la vie civilisée, qui est en parfaite opposition avec la vie de la nature, tout doit être en harmonie, mœurs et institutions. Aussitôt qu’on adopte la civilisation, il faut en prendre nécessairement les habitudes ; il faut songer à se défendre des intempéries des saisons ; à se construire une maison, à refaire ses forces par une alimentation artificielle, à se défendre contre des maladies artificielles par des remèdes artificiels aussi. Rien de tout cela n’existe aux îles Sandwich. Il a été facile de leur donner un gouvernement à l’anglaise, mais changer les habitudes est une tâche moins aisée. Les Hawaïens ont un gouvernement civilisé et des habitudes sauvages ; ils vivent ainsi dans la situation la plus équivoque et la plus insalubre de toutes, tant au point de vue physiologique qu’au point de vue moral. Ils sont soumis à un travail plus régulier qu’autrefois, et ils continuent à habiter des huttes malsaines ; contre leurs maladies nouvelles, ils emploient les vieux et inefficaces remèdes de la nature : pour apaiser les ardeurs de la fièvre, ils se couchent dans l’eau froide d’un ruisseau et y restent jusqu’à ce qu’ils trouvent la mort. En outre, la