Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/924

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

civilisation suppose une certaine attache à la vie, un certain amour des choses terrestres, une haine de la mort que les Hawaïens ne possèdent pas. Ils vivent comme les oiseaux, sans bien savoir au juste ce que c’est que la vie ou la mort. Le spectacle de la mort n’a rien qui les attriste, et c’est le rire aux lèvres qu’ils reçoivent le visiteur dans la hutte où gît le cadavre d’un père ou d’un enfant. M. Hill rapporte une anecdote qui illustre d’une manière si remarquable cette insouciance, qu’elle mérite d’être citée textuellement :


« Un jour, me promenant seul dans l’intérieur de la ville, cinq ou six jeunes femmes assises à la porte d’une hutte de gazon, après m’avoir accueilli avec leur explosion de rires accoutumée, me prièrent d’entrer dans leur demeure. Les huttes des indigènes, grâce à l’absence de fenêtres, sont généralement très obscures à l’intérieur. Celle où j’entrais n’avait qu’une seule petite ouverture, et une sorte de verandah, établie à l’extérieur pour permettre aux femmes de s’asseoir à l’ombre, rendait encore cette obscurité plus intense. Toutefois je pus apercevoir une espèce de lit, et ne voyant pas d’autre siège autour de moi, je m’assis dessus. Alors toutes les femmes s’assirent sur leurs nattes, et j’essayai d’entamer avec elles une conversation et de la mener aussi loin que me le permettaient les quelques mois de leur langage que j’avais appris dans les vocabulaires des missionnaires. Ma tentative mit en belle humeur toute la joyeuse bande, mais ne fut pas d’ailleurs sans succès. Questions et réponses furent échangées des deux parts, et notre conversation devenait de plus en plus amusante, lorsque subitement, portant mes yeux, qui commençaient à se faire à cette obscurité, vers le milieu de la chambre, j’aperçus une femme étendue sur une natte. Je demandai alors à demi par des mots, à demi par des signes, pourquoi elle était si tranquille et si elle sommeillait ; en réponse à ma question, une jeune femme, parlant également moitié par signes et moitié par paroles, me demanda d’approcher et de regarder, ce que faisant, j’observai que la femme étendue sur la natte était vêtue de la large chemise habituelle aux indigènes, mais que la tête était ornée de feuilles et de fleurs sauvages. Je me figurai, en la voyant dans cet accoutrement, qu’elle venait sans doute de prendre une part active dans quelque cérémonie nuptiale propre aux indigènes et qui m’était encore inconnue, et j étais sur le point de lui donner une bonne poignée de main, lorsque mon oreille fut frappée par un mot prononcé par une des femmes, mot que je connaissais bien et qui me révéla ce que la couleur seule de la peau m’aurait révélé chez une personne de race blanche : — cette personne ne sommeillait pas, elle était morte. Après avoir touché la chair de la défunte pour m’assurer de la vérité, je retournai vers le lit sur lequel je m’étais assis, et je m’aperçus alors que je l’avais partagé avec le corps inanimé d’un homme de la même race qui était étendu dans une bière assez semblable à celles dans lesquelles nous déposons les restes de nos morts chéris. Les femmes me firent comprendre que l’homme était mort depuis quelques jours, mais je ne pus découvrir quel degré de parenté il avait avec elles. La jeune femme, qui était leur sœur, était morte depuis quelques heures. »