Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

œuvre, d’ailleurs distinguée, de M. Biletta. L’instrumentation en est terne et s’éparpille en nuances d’harmonie trop ingénieuses pour un si grand cadre. On voit que M. Biletta ne s’est pas suffisamment entendu pour avoir une conscience bien nette des effets qu’il veut produire. Si,comme il y a tout lieu de l’espérer, M. Biletta obtient une revanche, que lui doit l’administration de l’Opéra, il aura appris que la scène exige d’autres proportions que celles de la musique qui se produit dans les salons. L’exécution de la Rose de Florence a été pourtant aussi bonne qu’elle pouvait l’être à l’Opéra. M. Bonnehée, dont la belle voix de baryton commence à s’assouplir, a chanté avec goût toutes les parties saillantes du rôle du duc de Palma, dont il était chargé, particulièrement la cavatine du second acte que nous avons mentionnée. Il n’a eu qu’un tort, c’est de crier plus fort que besoin n’était. Mlle Moreau-Sainti faisait presque ses débuts par le rôle d’Aminta, qui a été écrit expressément pour elle. C’est une assez belle personne que Mlle Moreau-Sainti ; sa physionomie, un peu empâtée, rappelle celle de Mlle Cruvelli : elle en a le port, les bras dodus, et un peu aussi la désinvolture. Sa voix est un mezzo-soprano d’une étendue presque de deux octaves, pouvant aller au besoin presqu’à l’ut supérieur. Cette voix est d’une bonne qualité, qui porte au loin sans trop d’efforts, et dont la flexibilité suffisante a été bien dirigée par Mme Damoreau,de gracieuse et charmante mémoire. Mlle Moreau-Sainti n’est sans doute encore qu’une espérance, car elle est issue d’artistes trop expérimentés dans l’art dramatique pour n’être pas suffisamment avertie de tout ce qu’elle doit acquérir encore. Il manque à son talent ce qui manque à sa physionomie enfantine, l’expression. Lorsqu’elle aura achevé de débiter les bonnes leçons qu’elle a reçues de ses maîtres, il est à croire que Mlle Moreau-Sainti donnera à ses gestes et à ses accens une signification dont elle n’a pas aujourd’hui conscience. Ce n’en est pas moins une bonne acquisition pour l’Opéra que Mlle Moreau-Sainti, car, en la voyant si docile aux préceptes de ses maîtres, on a tout lieu d’espérer qu’elle ne sera pas moins obéissante à la voix de la nature, quand celle-ci parlera.

Tandis que Mme Medori a bien de la peine à soulever le poids de l’indifférence extrême que lui témoigne le public parisien, car les Huguenots ne lui ont pas été plus favorables que les Vêpres siciliennes, Mme Borghi-Mamo vient d’aborder fort heureusement le rôle de Leonor dans la Favorite. Il avait été facile de prévoir que l’œuvre charmante de Donizetti serait plus avantageuse au talent tempéré et à la voix émue de Mme Borghi-Mamo que le sombre drame de Meyerbeer. Aussi, dès les premières mesures de son duo avec Fernand, la cantatrice était si parfaitement à l’aise, que tout le monde était rassuré sur l’issue de cette nouvelle épreuve. Elle a dit également avec goût l’air du troisième acte : O mon Fernand ! ainsi que le duo avec Alphonse, où elle a été très bien secondée par M. Bonnehée, qui, ce soir-là, n’a pas éprouvé le besoin de crier, ce dont nous le félicitons beaucoup ; mais c’est dans le grand duo du quatrième acte que Mme Borghi-Mamo a été surtout remarquable. L’admirable phrase qui accompagne ces paroles : C’est mon rêve perdu… qui rayonne et m’enivre, — l’une des plus belles qui existent dans la musique dramatique moderne, Mme Borghi-Mamo l’a dite comme aucune cantatrice ne l’avait comprise avant elle. Au lieu du cri de la