remarquable dans le rôle de Rigoletto de l’opéra de ce nom, dont la représentation nous est promise pour cet hiver. Après la Béatrice di Tenda, où. Mme Frezzolini trouve des accens si pathétiques, on nous a donné il Trovatore, avec Mme Alboni, qui a bien voulu aventurer sa voix incomparable en chantant le rôle sauvage d’Azucena. Elle y a été remarquable, et a étonné ses rares contradicteurs par un jeu plus énergique qu’on ne pouvait l’espérer de sa nature placide et souriante. Tout le monde se disait, en écoutant ce talent exquis se débattre au milieu de ce bruit de forgerons, de cloches et d’orgue discordans : « C’est la chute d’un ange dans une caverne de bohémiens ! » Un ténor inusité s’était chargé de remplir bénévolement le rôle important de Manrico : c’est M. Mathieu, élève du Conservatoire de Paris, où il a obtenu toutes les couronnes, ce qui ne prouve pas grand’chose. Après s’être essayé, sur la scène de l’Opéra, où il est resté plus d’une semaine sans exciter ni haine ni envie, M. Mathieu est allé faire les beaux jours de la province, et s’y est vu fêté pendant dix ans, surtout par la ville de Marseille, qui se donne volontiers des airs de dilettante. M. Mathieu est cependant un artiste estimable ; sa voix ne manque ni d’étendue ni de force, mais elle est dépourvue de timbre. Il est donc obligé d’en forcer l’émission toutes les fois qu’il veut produire ce qu’on appelle vulgairement de l’effet, et alors il lui arrive parfois de dépasser le but et de chanter faux. Cependant M. Mathieu est parvenu à se faire applaudir dans l’andante de l’air du.second acte et dans la scène du miserere, dont il a dit le lamento avec sentiment.
La reprise du Trovatore a donné lieu à un incident qui mérite d’être mentionné. Un jour que Mme Frezzolini éprouvait une de ces défaillances que ramène si fréquemment un répertoire au-dessus de ses forces, la direction ne savait à quel saint se vouer pour la remplacer dans le rôle de Léonor. On s’avise tout à coup qu’il y a à Paris une cantatrice de passage fort connue, de M. Calzado, le directeur du Théâtre-Italien. On se rend chez la prima donna en disponibilité, et on lui propose de chanter le soir même et au pied levé dans il trovatore ! La virtuose accepte le défi, et parait, après une simple annonce du régisseur, devant une assemblée nombreuse et très mécontente de la modification apportée au programme de ses plaisirs. Mme Steffenoni, c’est le nom de la nouvelle cantatrice, avait à peine balhutié quelques mesures de récitatif, que les amateurs se rassurent, s’échauffent, peu à peu, et puis éclatent en applaudissemens frénétiques qui ont duré toute la soirée. Mme Steffenoni est proclamée séance tenante une grande cantatrice dramatique, et le public se montre reconnaissant de la surprise qu’on lui avait ménagée sans le vouloir. Mme Steffenoni a retrouvé aux représentations suivantes du Trovatore le même accueil chaleureux et peut-être excessif. Ce n’est plus une jeune femme que Mme Steffenoni : sa physionomie expressive et sa voix fatiguée indiquent que le temps et la musique de M. Verdi ont passé par là. Elle a de la vigueur, une émotion véritable qui jaillit de l’action même, de la noblesse dans le geste et dans la démarche, et une grande intelligence des effets dramatiques. Mme Steffenoni a été remarquable dans la scène du miserere et dans le duo qui suit, où elle a écrasé de son style et de sa passion ce pauvre Graziani, dont la belle voix de baryton est tout ce qu’on peut applaudir en lui, car il n’a pas fait un pas