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parmi ceux qui se plaignent souvent il n’en est pas qui eussent volontiers accepté d’être un peu contraints. Elle ne demande qu’un droit unique pour elle, celui de n’être point un lieu banal où on arrive, où on passe, où on revient, où on se mêle, suivant le goût ou l’intérêt du moment. Ce qu’on prend pour une exigence ou pour une obligation n’est, à tout prendre, que le sentiment de la dignité littéraire. Le monopole intellectuel est mauvais, dit le Journal de l’Instruction publique, et il a bien raison. Il n’y a dans la littérature qu’un genre de monopole légitime et acceptable, parce qu’il est accessible à tous : c’est ce monopole de la faveur publique qu’obtiennent parfois le talent et les efforts laborieux, et ce monopole, il n’y a que le talent pour le neutraliser ou le balancer. Ce n’est point là encore, il est vrai, une concurrence, la Revue ne fait de concurrence d’aucune espèce ; nous aimerions mieux dire que c’est le règne de l’émulation dans la liberté. La Revue fût-elle d’une humeur plus indulgente, elle ne serait guère en mesure d’imprimer toutes les œuvres du temps : elle refuse plus de prose et de vers qu’il n’en faut pour combler les recueils voisins. Quant à l’Univers, qui a trouvé son mot à placer dans cette affaire, bien qu’on le sût fort occupé des procès qu’il soutient pour maintenir son infaillibilité, il n’a oublié qu’une chose, c’est d’allumer sa lanterne, ou en d’autres termes de dire plus clairement ce qu’il voulait dire. L’Univers est bien maître de tout confondre tant qu’il voudra pour aboutir on ne sait à quelle conclusion. Le plus probable est qu’il aura entendu parler d’une question où il s’agissait de la dignité des écrivains et de la liberté, et que par habitude il aura couru droit à l’ennemi en croyant travailler à la prospérité de l’église.

Si on se plaît parfois à chercher la politique dans les lettres comme à travers un voile transparent, on ne l’eût point trouvée l’autre jour à l’Académie, dans la séance où l’auteur de l’Honneur et l’Argent a été reçu, avec la solennité d’usage, par M. Nisard. Ce n’est pas que la politique soit absolument une étrangère à l’Institut, et doive nécessairement être bannie de ces paisibles fêtes de l’esprit qu’elle anime quelquefois sans les troubler. L’Académie fait appel ou doit faire appel à toutes les intelligences éminentes. Parmi celles-ci, il en est qui ont eu leur part dans les affaires de leur temps. Des hommes d’état succèdent à des hommes d’état, et c’est encore mieux que lorsque des vaudevillistes succèdent à des philosophes. Il est donc simple et juste que la politique apparaisse de temps à autre à l’Académie dans ce qu’elle a d’élevé et de désintéressé. L’essentiel est qu’elle ne fasse point irruption à propos d’un poème ou d’une tragédie, il n’en a point été certainement ainsi dans la dernière séance académique. M. Ponsard s’est fait honneur de n’être qu’un homme de lettres. M. Baour-Lormian, que l’auteur de Lucrèce remplace, n’avait rien de l’homme d’état. Pour toute aventure politique dans sa vie, il s’est rencontré avec Napoléon dans son goût pour Ossian, et il lui arriva d’avoir un jour à Saint-Cloud une conversation avec l’empereur sur la tragédie d’Omasis, ce qui ne suffit point évidemment pour faire de lui un personnage public. Quant à M. Nisard, il n’avait qu’à se souvenir de ce qu’il a été pour redevenir un moment un simple écrivain. C’était donc une fête uniquement littéraire, la fête de la tragédie, qui a été solennellement restaurée, réhabilitée et couronnée.

De tous les argumens faits pour prouver combien la tragédie est réelle-