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ment un genre national en France, ou du moins un genre très susceptible d’aider au succès de ceux qui lui vouent leur culte, un seul a été omis, ce nous semble : c’est la présence même de M. Ponsard à l’Institut ; L’auteur d’Agnés de Méranie est assurément un des écrivains de notre temps dont la fortune a été la plus heureuse et la plus rapide ; il ne s’est point manifesté dans les lettres par un de ces coups de génie qui subjuguent les imaginations et attestent la venue d’une nouvelle puissance intellectuelle ; son talent même, honnête et solide, n’a rien de particulièrement saisissant. Voyez cependant la rapidité de sa carrière : il y a un peu plus de dix ans, il faisait son premier pas ; il est aujourd’hui à l’Académie aussi immortel que son prédécesseur. À quoi tient cette fortune ? Elle est justement un des faits littéraires de notre temps. M. Ponsard est venu dans un moment où on avait abusé du génie, où un peu de sens et de raison ne déplaisait pas, et il a fait des tragédies ! Le succès a couronné ses efforts, tant il est vrai que la tragédie est un genre national. M. Ponsard s’est montré l’autre jour dans un discours ce qu’il est d’habitude, un esprit plus judicieux que brillant, sobre de nouveautés et de hardiesses. S’il se croit fils de Voltaire pour avoir exalté le XVIIIe siècle et l’auteur de Candide, il a évidemment encore à acquérir bien des qualités de souplesse et de légèreté pour prouver sa filiation légitime. Un certain sens vigoureux est la qualité du talent de M. Ponsard, et, par une conséquence qui n’a rien d’étrange, le lieu commun est son écueil. C’est ainsi qu’il s’est lancé l’autre jour dans des thèses assez inutiles ou assez ingrates, défendant Racine, notant des grossièretés dans Shakspeare comme des taches dans le soleil, traitant Goethe du bout des lèvres, foudroyant le moyen âge qu’on croyait mort, mais qui vit, n’en doutez pas, et qui se cache probablement sous les mysticismes des jeux de bourse. M. Ponsard a exposé de plus une théorie de la tragédie à laquelle on avait rendu le dangereux service de dire d’avance qu’elle devait être un manifeste. Et voyez la fortune singulière : dans cette séance où la parole était aux classiques, où rien ne semblait appeler la polémique, M. Ponsard a donné lieu à toute sorte de contradictions et de rectifications ingénieuses. Il a offert à M. Nisard l’occasion d’être un libéral, de défendre spirituellement Racine contre des réhabilitations inutiles, de mettre le génie de Shakspeare hors de toute atteinte et de faire un discours élégant et juste où d’une main savante le directeur de l’Académie a dégagé l’esprit littéraire français de ce que M. Ponsard lui avait donné de trop négatif et de trop étroit.

Le génie de la France a grandi non par l’exclusion et le dédain, mais par la souple activité d’une nature compréhensive et sympathique. Doué de ces deux qualités merveilleuses qui semblent opposées au premier abord et qu’il a su combiner cependant, le don de l’assimilation universelle et le don de l’expansion, il a fondé sa puissance sur cette force secrète d’un peuple accoutumé à vivre d’une même pensée, à marcher du même pas. Le mot des destinées de la France, c’est l’unité en toute chose, l’unité sociale, politique, morale, intellectuelle. Or c’est toucher ici à un de ces problèmes qui sont l’éternel objet de fécondes études. C’est le problème qu’aborde M. Louis de Carné dans une série de portraits des fondateurs de l’unité française, en observant dans l’histoire moins les détails que les résultats, en personnifiant les époques et en ressaisissant le fil de toute une civilisation qui se dé-