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coupables? » Il se compare à Actéon. Ce que ses regards ont rencontré sans dessein peut faire rougir, et il doit le cacher :

Et quæcumque adeò possunt afferre pudorem
Illa tegi cæcà condita nocte decet.


Il faut avouer que ces expressions voilées se rapportent très bien à un amour incestueux d’Auguste pour sa fille Julie dont Ovide aurait été le témoin involontaire. Julie en ce genre était capable de tout, et les mœurs d’Auguste étaient détestables; enfin Caligula disait que sa mère était née de cet inceste. On a supposé qu’il s’agissait d’une aventure entre Julie et Ovide lui-même, mais les aveux et les réticences du poète ne s’accordent point avec une telle supposition; ils s’expliquent parfaitement au contraire dans l’autre hypothèse[1]. Ainsi l’inceste impérial, dont Caligula devait donner l’exemple avec ses trois sœurs, aurait commencé sous le toit modeste du sage Auguste. Il n’y a pas certitude, mais il y a probabilité; d’ailleurs ce soupçon flétrissant est dans tous les cas une juste punition du mystère qu’Auguste a laissé planer sur la faute d’Ovide.

Ovide a eu, dans ses Fastes, occasion de mentionner plusieurs localités de Rome. Les abords du Palatin, le temple et le portique d’Apollon sont décrits dans une des épîtres qu’Ovide a datées du Pont. Il suppose que son livre, qu’il envoie à Rome, y a trouvé un des amis du poète qui conduit l’enfant de son exil vers la demeure de celui qui a ordonné cet exil. Ces vers, précieux pour la topographie monumentale de Rome, renferment des traits touchans. Le livre parle, il décrit ce qu’il rencontre : le temple de Vesta, qui s’élevait auprès du mont Palatin, sur l’emplacement aujourd’hui occupé par l’église de Saint-Théodore, et non aux bords du Tibre, où on a cru à tort le reconnaître; puis le temple de Jupiter Stator, à la droite de la porte du palais impérial, par conséquent sur le Palatin, non dans le Forum, où sont les trois belles colonnes auxquelles on a donné longtemps le nom de ce temple. Enfin le pauvre livre arrive à la demeure de Jupiter, c’est-à-dire d’Auguste. Je ne puis trouver nulle sévérité, mais j’éprouve une compassion profonde pour les grosses flatteries qu’Ovide adresse à Auguste dans les Tristes; ce titre seul me désarme. Je reproche à Ovide d’avoir, à la fin des Métamorphoses, quand il était heureux, fait dire par César, changé en étoile, que les exploits d’Auguste étaient supérieurs aux siens, et qu’il se réjouissait d’être surpassé par son fils; mais je n’ai plus le courage de lui rien reprocher dans l’exil, et je suis ému quand, à propos de la couronne de chêne suspendue au-dessus de la porte du

  1. Voltaire semble avoir admis à la fois l’amour d’Ovide et celui d’Auguste pour Julie :

    Amant incestueux de sa fille Julie,
    De son rival Ovide il proscrivit les vers.