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palais et offerte à Auguste comme conservateur des citoyens, Ovide s’écrie : « Joins aux citoyens que tu as conservés, ô père très bon, un malheureux qui languit relégué aux extrémités de la terre ! »

Puis, poursuivant sa route, le livre avec son guide monte l’escalier du temple d’Apollon, escalier qu’un vers d’Ovide nous prouve avoir été très élevé ;

….. Gradibus sublimia celsis
Templa…..


Il voit les statues des Danaïdes, nous apprend que Danaüs était représenté un glaive à la main. Enfin il arrive à la bibliothèque. « Là je cherchais mes frères, dit-il, excepté ceux que leur père voudrait n’avoir pas mis au monde, » c’est-à-dire les quatre livres de l’Art d’aimer, cause ou plutôt prétexte de sa ruine. Ce jeune frère veut entrer dans la bibliothèque et prendre place près de ses aînés, mais le gardien du lieu, le custos, comme on dit encore à Rome (custode), repousse l’étranger et le force à sortir de ce lieu saint. Il gagne alors les temples qui touchent au théâtre voisin, c’est-à-dire tente de pénétrer dans la bibliothèque du portique d’Octavie, placée près du théâtre de Marcellus; mais là encore l’entrée lui est refusée. Tout cela veut dire, ce me semble, que les bibliothèques impériales se fermèrent devant le livre qui contenait les plaintes et les supplications d’Ovide. C’est une dureté de plus d’Auguste envers sa victime.

Le quartier de Rome où l’exilé suivait en pensée la marche timide de son livre, cruellement repoussé, ce quartier était le sien : il logeait près du Capitole; on le voit par la belle élégie où il raconte son départ de Rome. Dans cette triste nuit, la lune éclairait pour lui les temples du Capitole. Ovide y peint (sa douleur en traits que les exilés reconnaîtront; il y peint aussi le désespoir de sa femme. Il me semble qu’Ovide n’eût pas osé le faire, s’il avait été trop mauvais époux. On peut admettre qu’il était alors un peu revenu de ses erreurs de jeunesse. La généreuse conduite d’une épouse qui lui resta courageusement dévouée me porte à croire qu’il n’avait eu avec elle que des torts qu’on peut pardonner. Celle qui protégea si noblement les intérêts et l’infortune du banni protège encore sa mémoire. Elle a inspiré à l’auteur léger de l’Art d’aimer, mûri par l’âge et le malheur, des vers d’une tendresse grave et pénétrante qui font penser à un sonnet de Pétrarque. «Toi que j’ai laissée jeune lorsque je quittai Rome, tu dois avoir vieilli par mes maux. Oh ! fassent les dieux que je te voie telle que tu es devenue, et que je puisse baiser avec tendresse tes joues changées ! »

Nous devons au malheur d’Ovide des descriptions de Rome d’un genre particulier, des descriptions que lui dictent l’imagination et le souvenir. « Rome et ma maison m’obsèdent, et le regret des lieux