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perfections successives. Cette recherche est souvent fort difficile, et on ne peut l’entreprendre qu’à l’aide d’une théorie historique, ou plutôt (car ce n’est pas assez dire) d’une philosophie dont la théorie historique n’est qu’une partie, et qui, embrassant l’ensemble des notions spéculatives, leur génération et leur subordination, permet d’entrevoir certains linéamens de l’avenir et du passé.

M. Renan attribue le monothéisme primitif à une disposition innée de la race, à une manière de sentir et de concevoir qui, propre à la famille sémitique, la conduisit tout d’abord à la notion d’un Dieu unique, créateur et maître de la terre et des cieux. La rareté des documens sur une aussi lointaine histoire nous dérobe le procédé par lequel les idées et les choses se sont produites dans le développement des peuples, et ne laisse place qu’à des inductions difficiles et peu sûres. L’hypothèse de M. Renan a pour elle le fait : dès une haute antiquité, on voit Israël, qui d’ailleurs ne se distingue pas par une suprématie de science et de civilisation sur ses voisins de Tyr, ou de Sidon, ou de Babylone, trancher fortement, sur tout ce monde païen, par sa croyance en Jéhovah, par sa haine des dieux multiples, par sa ténacité religieuse et par son espérance prophétique de voir un jour les nations venir au monothéisme. Pourtant de graves difficultés me paraissent s’opposer à cette interprétation du fait historique.

La plus grave est le paganisme de plusieurs branches sémitiques. Les Sidoniens, les Tyriens, les Carthaginois, les Palmyréniens, les Arabes, les Éthiopiens, tout cela fut païen. Naturellement M. Renan ne s’est point dissimulé cette objection, et il y répond, quant aux Phéniciens, en disant que, s’ils tombèrent dans le paganisme, ce fut l’effet de migrations et d’influences étrangères qui les firent entrer dans les voies profanes de la civilisation, du commerce et de l’industrie ; quant aux Arabes, en disant que ce serait une erreur d’envisager Mahomet comme ayant fondé le monothéisme chez eux, et que le culte d’Allah suprême avait toujours été le fond de la religion de l’Arabie. Toutefois ces dires ne portent pas la conviction dans mon esprit. Où est la trace historique que les Tyriens, pour ne parler que d’eux, aient jamais été monothéistes ? Où est la preuve que des migrations et des influences étrangères aient altéré leur religion primitive et y aient substitué le culte des dieux multiples ? La langue est certainement le meilleur miroir de la pureté d’une race ; or à ce titre la langue phénicienne (ce que nous en savons du moins) ne présente aucune marque de ces mélanges, de ces altérations qui, en témoignant de l’action exercée par des populations étrangères, témoignent d’un changement, en bien ou en mal, dans les idées et dans les croyances. La réponse relative aux Arabes ne lève pas non plus tous les doutes. Je croirai sans peine avec M. Renan que la notion d’Allah suprême est, chez les Arabes, une notion fondamentale ;