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mais cela ne suffit pas pour qu’on puisse en conclure qu’ils furent monothéistes, pas plus qu’on ne serait en droit d’affirmer que les Grecs, parce qu’ils avaient la notion d’un Zeus suprême, père des dieux et des hommes, ou les Latins, parce qu’ils croyaient à un Jupiter très grand et très bon, Jupiter optimus maximus, doivent être retranchés du nombre des peuples polythéistes. La conclusion ne me paraît pas s’appliquer davantage aux Arabes, car si, à côté de cet Allah suprême, il n’y avait pas eu, comme chez les païens incontestés, des divinités multiples, qu’aurait signifié la mission de Mahomet, qui n’eut pas d’autre but et d’autre effet que d’enlever son peuple au paganisme ? M. Renan, en exposant son hypothèse, a laissé un nuage sur sa pensée, ordinairement si précise et si claire. « Le désert, dit-il, est monothéiste. » Si c’est le désert qui inspira aux Sémites la notion d’un seul Dieu, ils ne la tiennent pas de leur race, ils la tiennent d’une influence extérieure, celle des lieux, du sol et du ciel, influence qui en effet est très considérable, et qui, combinée avec les aptitudes innées de chaque famille humaine, produit toutes les diversités de notions ; mais il s’ensuit qu’ils descendirent polythéistes du plateau de l’Asie, et qu’ils ne devinrent monothéistes que dans le désert,où leur émigration les conduisit. Dès-lors leur polythéisme primitif n’en reste pas moins, même au point de vue de M. Renan, une nécessité historique ; seulement il est reporté sur un plan plus éloigné.

Et de fait je ne crois pas qu’on puisse en aucune circonstance échapper à la nécessité de retrouver le polythéisme sur le fond de l’histoire, et si la première raison, tirée du paganisme de tant de peuples sémitiques, me touche beaucoup, cette seconde ne me touche pas moins. Quelque loin que l’on pousse les inspirations fournies à une race primitive par l’uniformité sévère d’un immense désert d’Asie ou d’Afrique, on n’arrivera jamais à en faire sortir l’ensemble de notions générales et élevées qui forment le fond de la croyance des Hébreux. Elles dépassent de beaucoup les intuitions simples et primordiales, car on y trouve un Dieu créateur ou tout au moins formateur unique de l’univers, — la production successive des choses et des êtres vivans, — deux opinions d’ailleurs inconciliables sur la formation de l’homme, qui, dans l’une, est représenté comme androgyne, tandis que, dans l’autre, Dieu enlève une côte pour faire la femme, — la science du bien et du mal symbolisée, dans l’arbre planté au centre de l’Éden, — enfin une explication de l’origine du mal en un monde d’où la main souveraine l’avait originairement banni. Il est impossible, ce me semble, de méconnaître en tout ceci une élaboration fort avancée d’idées métaphysiques dont on saisit sans grande peine l’enchaînement. Dès-lors nous sommes reportés bien loin d’un monothéisme spontané qui proviendrait des aptitudes