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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/210

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ils doivent demeurer. Puisqu’ils possèdent non-seulement le sentiment de la beauté, mais le moyen d’exprimer ce qu’ils sentent, ils dérogent en consultant ceux qu’ils veulent émouvoir. Qu’ils modèlent, qu’ils peignent pour traduire ce qui est en eux, qu’ils révèlent, dans une langue claire et précise, la pensée qui les anime, et leurs espérances de renommée ne seront pas déçues. Si, avant de prendre l’ébauchoir ou le pinceau, ils se demandent ce qui plaira, ce qui déplaira, ils ne produiront jamais que des œuvres éphémères. Dans le domaine de l’art, la liberté mène à la puissance. Le sculpteur et le peintre ne doivent pas aller vers le public, mais amener le public à eux. Qu’ils courtisent l’opinion, ils s’amoindrissent. Les idées que j’exprime ici, je ne crains pas de l’affirmer, sont celles de tous les vrais artistes ; je ne redoute aucun démenti de leur part. Leur souci constant est de manifester leur pensée. Ils ne veulent pas conquérir la renommée, la richesse, en abdiquant leur indépendance. Pour eux, la joie la plus vive, la plus profonde, est de se révéler pleinement sans rien sacrifier, sans rien omettre de ce qu’il ont conçu. Ils ne dédaignent pas les applaudissemens, il ne leur déplaît pas que leur nom soit répété par des milliers de bouches ; mais ils ne descendent jamais jusqu’à mendier les applaudissemens. La gloire ne les séduit que lorsqu’elle arrive comme la récompense d’une œuvre libre et puissante par sa liberté même. Qu’on interroge l’histoire, et l’histoire répondra que la sculpture et la peinture n’ont jamais rien produit de grand, quand elles ont méconnu les conditions que je viens d’exprimer. Si elles tiennent compte du goût de la multitude, elles s’éloignent du but qui leur est assigné par la nature même des choses. Pour conserver leur dignité, elles doivent tout sacrifier à l’expression de la beauté.

Quelle est la mission de l’industrie ? C’est de chercher partout, en toute occasion, l’emploi des choses qui s’offrent à ses yeux. Rendre utile ce qui demeurait oublié, appliquer aux besoins de la vie matérielle ce qui était dédaigné, ce qui n’avait de valeur pour personne, est et sera toujours pour l’industrie un triomphe éclatant. De quelque manière qu’on envisage ses travaux, on est toujours obligé d’arriver aux mêmes conclusions : le génie industriel se révèle sous deux aspects, soit en découvrant l’utilité d’une chose déclarée jusque-là inutile, soit en produisant à bon marché ce qui n’avait été produit qu’à grands frais. L’unique préoccupation des inventeurs dans le domaine de l’industrie est de s’enrichir. J’entends dire quelquefois qu’ils veulent enrichir leur pays. Mon intention n’est pas de soutenir qu’ils sont tous dominés par l’égoïsme. Je consens à croire que parmi ceux mêmes qui rêvent l’opulence, il y en a qui songent à créer le bien-être parmi les pauvres qui les entourent.