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REVUE. — CHRONIQUE

sur ce manifeste l’attention de nos voisins. Je prends la liberté de le signaler à M. Erdmann : quand le brillant professeur de Halle publiera une seconde édition de son Histoire de la Spéculation allemande depuis Kant, il sera tenu de donner son avis sur le livre de M. Maurial.


SAINT-RENE TAILLANDIER.

MÉMOIRES DE MESDAMES DE COURCELLES ET DE LA GUETTE, ET DE HENRI DE CAMPION[1]. — Le temps est plus que jamais aux travaux historiques : on poursuit sans relâche cette recherche de la vie intime de nos pères, étude trop négligée, et en faveur de laquelle se produit aujourd’hui une réaction d’autant plus vive qu’elle s’est fait longtemps attendre. C’est sur le XVIIe siècle, sur cette époque qui résume dans ses titres divers l’illustration de la vieille monarchie française, que l’attention se porte surtout depuis quelques années. Des écrivains éminens ont d’abord, et ici même, indiqué le chemin en plantant des jalons : après eux, les travailleurs sont accourus, parcourant le XVIIe siècle dans tous ses sens et laissant néanmoins encore beaucoup à glaner.

Les trois volumes où sont recueillis les Mémoires de Mesdames de Courcelles, de La Guette, et de Henri de Campion, commencent une vaste collection de nouveaux mémoires sur l’histoire de France dont on doit vivement désirer la continuation. Ils nous font connaître trois types également originaux, quoique des titres bien divers. Marie-Sidonie de Lénoncourt, fille du marquis de Marolles et d’Isabelle de Cronemberg, digne mère dont les galanteries innombrables devaient singulièrement édifier la fille, naquit en 1650, et reçut une éducation distinguée et religieuse par les soins de sa tante, abbesse de Saint-Loup d’Orléans ; mais sa beauté devait l’exposer à de terribles dangers : elle la connaissait, car elle nous a tracé elle-même un exact portrait de son ravissant visage, et elle apprit trop vite quelle puissance il lui prêtait. On ne se figure pas le nombre des adorateurs qui entourèrent Sidonie à son entrée dans le monde ; elle eut à repousser les avances de Colbert, mais ne voulut pas, ou ne put pas traiter Louvois de même, et se décida à épouser le marquis de Courcelles, neveu de Villeroy, officier brutal et ruiné, pour cacher cette galanterie. Sidonie ne devait pas longtemps s’en tenir là : pendant un voyage de Louvois, elle accueillit un cousin de Villeroy, qu’elle enleva à la princesse de Monaco. Au retour du ministre, cette affaire se découvrit et se termina par un déplorable éclat. Bientôt après, M. de Courcelles essaya, au moyen de drogues terribles, de défigurer sa femme. Elle pensa mourir et se retira, quand elle fut guérie, au couvent des Filles-Sainte-Marie, où la duchesse de Mazarin lui fit promptement oublier les bonnes résolutions qu’elle avait pu former. À dater de ce moment, Mme de Courcelles tomba dans la plus misérable situation : elle donna lieu aux plaintes trop légitimes de son mari, fut arrêtée, et à dater de ce moment commence un procès honteusement scandaleux. Après un assez long emprisonnement et une condamnation, Sidonie parvint à prendre la clé des champs et, s’attachant à M. de Boulay, continua à Genève sa coupable existence. Elle ne demeura pas longtemps avec lui et rentra à Paris dès que la mort de son mari le lui permit ; enfin après quelques autres accidens on perd sa trace, ou plutôt on ne veut plus la suivre, et elle meurt en 1685, mariée pour de bon à un soldat de fortune.

  1. 3 vol. de la bibliothèque Elzevirienne de P. Jannet.