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REVUE DES DEUX MONDES.

Mme de La Guette a les mêmes allures prestes et cavalières que la marquise de Courcelles, le même enjouement, un esprit également vif et prompt, mais là s’arrêtent ces ressemblances, heureusement pour M. de La Guette. Née pour être capitaine d’aventure, intrépide à la chasse comme devant l’ennemi, libre dans sa parole, elle ne cessa de suivre la grande route du devoir sans laisser la moindre parcelle de sa vertu aux buissons du chemin, chose assez rare à cette époque pour être notée, car le temps de la fronde ne fut pas précisément un temps modèle pour le bonheur et l’union des ménages. Elle s’est peinte d’ailleurs dans le quatrain qu’elle fut obligée un soir d’improviser chez la marquise d’Hocquincourt :

Si je suivois ma fantaisie,
Je m’en irois dans les combats
Avec un fort grand coutelas
Faire une étrange boucherie.

Mme de Courcelles et de La Guette représentent deux côtés bien distincts de la société féminine du XVIIe siècle ; c’est à ce point de vue que nous les signalons ici. Toutes deux ont en outre une réelle valeur littéraire, et si le style de Mme de Courcelles paraît plus soigné, plus gracieux, plus précieux surtout, celui de Mme de La Guette, qui semble avoir en grippe l’école de l’hôtel de Rambouillet, n’est pas moins remarquable par sa netteté, sa précision et son accent singulièrement mâle pour une femme.

Henri de Campion n’est pas inconnu des lecteurs de la Revue. Tous assurément se rappellent encore cet ardent ami de la duchesse de Chevreuse, qui plaça son frère Henri au service du duc de Vendôme et du duc de Beaufort, et le mit ainsi à même de recueillir des notes vraiment précieuses sur l’époque la plus embrouillée certainement de notre histoire. Tandis qu’Alexandre de Campion demeurait à Paris, Henri fuyait avec le roi des halles en Angleterre après la conspiration de Cinq-Mars, puis en revenait avec lui. M. Cousin a tracé de lui un portrait qui donne une haute valeur à ces mémoires : « C’était, dit-il, un homme instruit, plein d’honneur et de bravoure, sans jactance aucune, éloigné de toute intrigue et né pour faire son chemin par les routes les plus droites dans la carrière des armes. » Il ne ressemblait nullement à son frère. Henri de Campion nous a laissé un tableau véridique et simple de ces années si diversement agitées, et où l’histoire semble pendant quelque temps se plier à la forme du roman ; il dévoile de scandaleuses turpitudes avec une franchise inébranlable. Or, comme dit encore M. Cousin, il faut le croire absolument, ou, si l’on doute de ses allégations, le tenir pour le dernier des misérables. Henri de Campion d’ailleurs ne devait pas avoir envie de composer de faux mémoires, car il les écrivit à un moment où c’était plutôt pour lui un moyen d’oublier le présent qu’un passe-temps agréable : il venait de perdre sa femme et sa fille. Il les rédigea après la mort de Mazarin et lui survécut lui-même à peine deux ans.

On voit quel intérêt s’attache à ces trois volumes destinés à inaugurer une collection de nouveaux documens sur l’histoire de France. Ajoutons que MM. Pougin et Moreau ont fait précéder ces trois nouvelles éditions de courtes notices qu’on lit avec un vrai plaisir.


Ed. de Barthelemy.

V. de Mars.