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Cornelis de Witt sur la fausse inculpation d’avoir voulu attenter à la vie du prince d’Orange. Le prisonnier venait de subir la question : il reposait sur son lit, le corps brisé, l’âme indomptable. Tout le temps qu’avait duré la torture, il avait opposé à la douleur un front calme, à ses accusateurs un regard ferme et dédaigneux, à ses juges ces vers d’Horace : Justum et tenacem propositi virum… A côté de lui, son frère lui lisait la Bible. Jean de Witt, ex-pensionnaire de Hollande, était venu à la prison sur l’avis que son frère Cornelis le demandait : c’était un piège. Des hommes armés de haches et de marteaux frappent à la porte ; le geôlier, intimidé ou séduit, cède à leurs menaces. Les furieux s’élancent par un escalier vers la chambre où étaient les frères de Witt, qui, au milieu de tout ce tumulte, avaient conservé un admirable sang-froid. On forcé les victimes à se lever et à suivre leurs ennemis sur la place. Les deux frères s’embrassent dans un dernier adieu et se mettent en devoir de descendre l’escalier. Ils avaient à peine fait deux ou trois pas, lorsqu’un coup vigoureux, asséné par derrière, précipita au bas de l’escalier Cornelis, qui s’appuyait au bras de Jean. Traîné à quelque distance de là par les rues, foulé aux pieds et hideusement frappé, il ne fut bientôt plus qu’un cadavre.

On montre encore, sous l’arche qui sert de communication entre le Birinenhof et le Plaats, une petite porte enchâssée dans la muraille : c’est par cette porte qu’on fit sortir Jean de Witt. Le Plaats est une place entourée de maisons, où le sang a plus d’une fois coulé. Une espèce de triangle en pavés blancs, avec une pierre au milieu, indique qu’en cet endroit, le 22 décembre 1392, fut massacrée Adélaïde de Poelgeest, maîtresse d’Albert, comte de Hollande. Sur cette place, Jean de Witt parut la tête nue et ensanglantée devant la multitude. C’est entre le lieu où périt Adélaïde de Poelgeest et les arbres du Vijverberg que, frappé d’un coup de lance dans la figure, insulté, blessé au cou, il tomba sur ses genoux en tournant les yeux vers le ciel et en priant. Un coup de feu l’abattit. Le Vijverberg (montagne de l’étang) forme une plaine qui d’un côté est couverte par des allées d’arbres, et de l’autre côté se creuse en un étang ou vivier. Ce n’est que dans un pays plat comme la Hollande qu’une élévation de terrain aussi peu sensible peut obtenir le nom de berg (colline). Le cadavre, hideusement maltraité, fut traîné sur une petite pelouse qui s’élève tout près du lieu de supplice, et qu’on nomme Groene zoodje. Je laisse à l’histoire le triste soin de raconter les actes de barbarie commis sur les restes inanimés de ces deux grands citoyens. Des gravures du temps, conservées dans la collection de M. Wintgens, représentent ces atrocités, auxquelles les femmes prirent une part active et exécrable. La nuit cacha du moins sous son voile une partie de ces horreurs.