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publique réclame en Hollande un ordre de choses plus conforme à la morale et à l’humanité.

L’histoire de l’esclavage dans les colonies néerlandaises se rattache à l’histoire de la métropole : on ne pouvait la passer sous silence ; mais quelques taches que le temps fera certainement disparaître ne sauraient effacer un ensemble d’efforts imposans. Dans leurs rapports extérieurs aussi bien que dans leur vie politique, les Pays-Bas nous présentent un assez grand théâtre d’idées, de faits, d’enseignemens et d’exemples qui méritent d’être recueillis. Une petite nation, fille de ses œuvres, qui devance presque tous les grands états de l’Europe et du Nouveau-Monde dans la pratique des libertés, qui s’empare des mers avec une poignée d’hommes et de vaisseaux, qui ouvre à travers les tempêtes la voie du commerce, et trace chez elle, au milieu des agitations politiques, les limites du droit constitutionnel, n’est point une nation que l’historien doive dédaigner. Ce qui la distingue surtout, c’est un esprit de calcul intrépide. Une nation douée d’un sens si pratique devait inaugurer de bonne heure le gouvernement de la classe moyenne. Ici pas plus qu’ailleurs le régime représentatif ne s’est improvisé : il a exigé de longues études, des sacrifices et des luttes ; le bon sens obstiné de la race a triomphé de ces obstacles. Les événemens extérieurs et intérieurs ont depuis un siècle amoindri le rôle politique de la Hollande et réduit sa prospérité commerciale ; mais elle garde dans sa constitution et, ce qui vaut encore mieux, dans ses mœurs le germe impérissable d’une liberté qui sait se maintenir.

La Hollande a perdu dans les hasards de la guerre ce qui fait les peuples grands : elle conserve ce qui fait les peuples heureux. Il est à désirer que la Néerlande persévère dans sa voie : tout en agrandissant le cercle de ses rapports avec les autres états de l’Europe, tout en s’assimilant les progrès des nations étrangères, elle ne doit point abjurer ses traditions historiques, son individualité naïve et forte, son esprit religieux greffé sur l’amour du sol, et sur le respect des ancêtres. D’autres sociétés modernes peuvent éblouir par une action plus grande exercée sur les destinées du monde ; mais il n’en est guère où se révèle plus clairement l’influence de sages institutions sur l’accroissement de la fortune publique. Après avoir laissé dans le passé un long sillon de lumière, les Pays-Bas jouissent encore dans le présent d’une valeur morale qui, durant les quinze premières années de ce siècle, a su résister aux entraînemens de la force matérielle et aux séductions de la gloire. Enclavés, au milieu des grandes puissances rivales, les états de second ordre comme la Hollande n’en sont pas moins nécessaires à la paix et à la tranquillité de l’Europe, dont ils maintiennent l’équilibre.


ALPHONSE ESQUIROS.