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29 juin 1854, jour du mariage, arrive ; nouvelle scène. M. Brontë déclare que les fiancés peuvent aller à l’église ; quant à lui, il ne sortira pas. Comment cependant remplacer M. Brontë dans la cérémonie religieuse ? Le mariage se passait en famille ; il n’y avait là que deux amies de Charlotte et le clergyman qui devait officier. Alors on alla chercher la rubrique de l’église, et on vit que le ministre devait recevoir la fiancée des mains de son père ou d’un ami. Le sexe de l’ami n’était pas spécifié, et l’une des deux dames se chargea de présenter miss Brontë. Si la formule avait été plus explicite, le mariage ne se faisait pas, et le caprice de M. Brontë remportait la victoire.

Miss Brontë vécut à peine neuf mois après son mariage. Pendant quelque temps, le bonheur et l’affection semblèrent avoir transformé sa santé ; elle se félicita d’être délivrée des maux de tête qui l’avaient fait souffrir autrefois. Le plus léger incident devait détruire ces trompeuses apparences. Le 29 novembre 1854, elle écrit : « Arthur est venu me chercher pour une promenade. Nous sommes partis sans avoir l’intention d’aller bien loin ; lorsque nous avons eu fait un demi-mille sur les bruyères, Arthur a suggéré l’idée de la chute d’eau ; ce devait être un beau spectacle, a-t-il dit, après la fonte des neiges. J’avais souvent désiré voir la cascade dans sa splendeur d’hiver ; nous allâmes donc. Il faisait beau temps. Un torrent superbe courait à toute bride à travers les rochers. Il commença à pleuvoir pendant que nous regardions, et nous revînmes à la maison sous une pluie battante. Toutefois cette promenade m’a fait un grand plaisir, et je ne voudrais pour rien au monde n’avoir pas vu ce spectacle. » Cette promenade hâta l’heure suprême ; le 31 mars 1855, elle mourut à peine âgée de trente-neuf ans. Tout le village de Haworth assista à ses funérailles, que signalèrent quelques incidens touchans que nous laisserons raconter à mistress Gaskell.


« Parmi ces humbles amis qui pleuraient si passionnément la morte, se trouvait une jeune fille du village, qui avait été séduite, quelque temps auparavant, mais qui avait trouvé une noble sœur dans Charlotte. Elle lui avait donné secours et conseil ; elle l’avait relevée par ses paroles fortifiantes, avait pourvu à ses besoins dans les jours d’épreuve. Amer, amer fût le chagrin de cette pauvre jeune femme lorsqu’elle apprit que sa noble amie était en danger de mort, et profonde jusqu’à ce jour a été sa douleur. Une jeune fille aveugle, qui demeurait à environ quatre milles d’Haworth, aimait si tendrement mistress Nicholls, qu’elle supplia par des larmes qu’on la conduisît jusqu’à Haworth, afin qu’elle pût entendre les mots solennels : « Terre, retourne à la terre, cendre à la cendre, poussière à la poussière, avec la sûre et certaine espérance de la résurrection dans, la vie éternelle par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ. »