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de ces biens nouveaux pour elle, qu’ils avaient fui. Le vicaire qui assistait M. Brontë dans ses fonctions ecclésiastiques, M. Arthur Nicholls, aimait Charlotte depuis longtemps en secret. Ce n’était pas la renommée littéraire de la femme qui l’attirait ; mais il avait observé Charlotte depuis de longues années, il avait été le spectateur de ces luttes avec son devoir d’où elle sortait toujours victorieuse, il connaissait les trésors d’énergie et de tendresse sensée que contenait son cœur. Il se décida, non sans difficulté, à ouvrir son âme. La scène est curieuse et tout à fait anglaise. Charlotte, depuis quelque temps, avait soupçonné qu’elle était l’objet d’une attention particulière de la part de M. Nicholls. Un soir, après l’heure du thé, elle entend frapper doucement à la porte de l’appartement où elle se trouvait. « La pensée de ce qui allait arriver me traversa le cerveau comme un éclair. Il entra et se tint debout devant moi. Ce que furent ses paroles, vous pouvez l’imaginer ; ce qu’était sa contenance vous serait plus difficile. Pour moi, je ne l’oublierai pas. Il me fit sentir pour la première fois ce qu’il en coûte à un homme de déclarer son affection, lorsqu’il doute de la réponse qui lui sera faite. Le spectacle d’un homme ordinairement immobile comme une statue, tremblant, ému comme il était, me donna un singulier tressaillement. Je ne pus que le prier de me laisser, en lui promettant une réponse le lendemain. Je lui demandai s’il avait parlé à papa. Il me répondit qu’il n’osait pas. Je crois que je l’ai à moitié conduit, à moitié poussé hors de la porte. » Charlotte alla immédiatement faire part à son père de sa conversation avec M. Nicholls. M. Brontë pensait, à l’endroit du mariage, à peu près comme le ministre Helstone de Shirley. Il ne comprenait pas pourquoi on se mariait, et faisait tous ses efforts pour dégoûter les personnes de sa connaissance de cette erreur fort naturelle ; « mais cette fois, dit Mme Gaskell, il fit plus que désapprouver, il ne pouvait pas supporter l’idée de cet attachement de M. Nicholls pour sa fille. » Charlotte, pour éviter d’agiter trop violemment les nerfs de son père, qui relevait alors de maladie, prit en patience cette boutade, et promit que M. Nicholls recevrait le lendemain un refus formel. M. Nicholls résigna donc sa charge au presbytère d’Haworth. Cependant, la colère de M. Brontë s’étant en quelque sorte dissipée à force de tempêtes furieuses et même, paraît-il, d’invectives contre son présomptueux vicaire, il fut amené à considérer les choses sous une lumière plus douce, et s’habitua peu à peu à cette idée excentrique du mariage. Il finit par consentir, et M. Nicholls reprit ses fonctions à Haworth. Aussitôt que le mariage fut décidé, M. Brontë n’eut pas de tranquillité qu’il ne fût accompli ; il s’occupa avec un extrême intérêt de tous les préparatifs et arrangemens préliminaires. Le