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la popularité, ne pouvaient rien contre un mécontentement de l’armée. Un jour Probus voulut faire dessécher un marais par des soldats, et ces soldats l’égorgèrent.

Nous venons de voir que même aux époques les plus désastreuses les bons princes n’ont point manqué à l’empire. C’est, comme je l’ai déjà dit, l’empire qui a trahi les efforts de ces princes capables et bien intentionnés. Les Antonins du IIIe siècle[1], comme ceux du IIe montrent par leurs qualités mêmes combien était foncièrement mauvaise une institution que ces qualités n’ont pu améliorer, car de même qu’après Marc-Aurèle était venu Commode, après Probus ne tarda pas à paraître Carin, qui devait renouveler Héliogabale.

Si l’on en juge par son buste du Capitole, douteux il est vrai, ce scélérat était fort laid. Calpurnius dit bien, dans une de ses églogues, qu’en voyant Carin on croit voir Mars ou Apollon ; mais Calpurnius était un poète de cour, et d’après des témoignages moins suspects rapportés par Gibbon, nous savons que Carin était petit et laid. Lui aussi voulut donner des jeux extravagans faits pour passionner la multitude. Son père Carus et son frère Numérien, assez bons empereurs du reste, avaient fait en ce genre des exhibitions bizarres : ils avaient montré des hommes qui dansaient sur la corde avec des cothurnes, un tichobate, qui pour éviter un ours courait sur la crête d’un mur. Carin les surpassa. Le Colisée et le Cirque, ces monumens dont je fais toujours l’histoire, car ils ont remplacé le Forum et sont l’unique théâtre de la vie publique des Romains, le Colisée et le Cirque furent témoins de divertissemens extraordinaires, dont un poète du temps nous a conservé de curieux tableaux faits d’après nature.

Le pasteur Corydon, car Calpurnius se souvient de Virgile, revient de la ville et raconte à un autre berger ; Lycotas, ce qu’il a vu dans l’amphithéâtre. La poésie n’est pas bonne, mais les descriptions sont d’une minutieuse exactitude. Corydon a vu le velarium soutenu par des poutres, les gradins innombrables ; toutes les autres places étant occupées, il est monté au troisième étage, réservé pour les femmes et les gens du commun. Les femmes étaient assises, non sur des gradins, il n’en existait pas à cet étage, mais sur des chaises, comme nous l’apprennent ces vers :

Venimus ad sedes ubi pullâ sordida veste
Inter fœmineas spectabat turba cathedras.
  1. Il est à remarquer que Claude le Gothique, Aurélien et Probus venaient tous trois de la région du Danube ; aussi leur voit-on sur les médailles un profil barbare qui rappelle celui des prisonniers daces du temps de Trajan. Les Barbares, par qui devait se retremper l’énergie du monde romain, communiquaient seuls quelque énergie à l’empire.