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ordre social qui n’existe plus, l’envie de flatter ou de noircir ce qui existe, telles sont les dispositions fâcheuses qui font altérer l’image du passé, lorsqu’on y répand un reflet trop coloré des passions et des intérêts du moment. Mais il faut élargir la pensée de Tacite. Dans les états libres comme sous le pouvoir absolu, les grands esprits comme les médiocres sont invinciblement entraînés à mettre plus ou moins leurs préoccupations actuelles dans les plus graves études. Cet entraînement, qui a certes des inconvéniens et n’est que trop facile aux abus, est naturel cependant et légitime en lui-même, car on écrit pour son temps, on ne peut tout embrasser, il faut choisir ce qu’on croit utile. Pourquoi ne chercherait-on pas partout les titres de la vérité que l’on croit défendre ? Pourquoi n’attacherait-on point sa cause à une tradition, puisqu’il n’est rien d’important dans les affaires humaines qui n’ait ses sources ou ses analogues dans d’autres temps ou dans d’autres lieux ? De plus, cette stimulation des intérêts contemporains, dirigeant des recherches ardentes sur un objet particulier et considérable, a toujours fait creuser de savantes mines, et amener au jour une foule de notions et de rapprochemens dont plus tard la science calme a fait son profit. Au XVIe et au XVIIe siècle par exemple, les querelles religieuses et politiques ont fait amasser des collections immenses où nous puisons encore tous les jours. Et si on examine en particulier la manière dont s’est formée l’histoire de France, on verra que c’est surtout sous l’influence de la polémique, ou du moins de préoccupations contemporaines, qu’elle s’est peu à peu enrichie et a commencé à devenir ce qu’elle doit être, la science mère et inspiratrice de toutes nos pensées politiques.

Ce fut au XVIe siècle, quand il y eut, en dehors de l’église, assez d’hommes instruits pour vouloir juger leur temps, que l’étude des institutions commença, et en même temps l’histoire proprement dite. Au moment où le parlement devenait un pouvoir politique, Claude de Seyssel, favorable à cette nouveauté et voulant l’appuyer par les antécédens, décrivit la grande monarchie française comme une royauté pondérée par la résistance constitutionnelle du parlement. Quand l’insurrection religieuse eut excité des sentimens républicains, le républicain Hotman, dans la Franco-Gallia, déterra tous les souvenirs de liberté que les siècles précédens pouvaient contenir ; c’était un nouveau point de vue qui avait sa part de vérité. Sous Louis XIV, quand l’administration envahissait tout, Mézerai en chercha les traces et fit de cet objet spécial un élément de l’histoire ; il fut puni de ce progrès, et pour s’être mêlé, disait-on, de ce qui ne le regardait pas. Cependant l’histoire devenait de plus en plus indocile, et poursuivait surtout ce qui lui était interdit. Au déclin