Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/801

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de croix ? — Non, » fut-il répondu. Aucun signe ne marquera donc pour l’avenir la tombe du vieux prêtre. Oh ! pourquoi un de ces rayons de grâce qui si souvent l’avaient touché ne vint-il pas à sa dernière heure, je ne dis pas le fléchir, mais le rendre sur quelque point légèrement inconséquent !

Retrouva-t-il la paix à ce moment suprême, et la vérité, qu’il avait tant poursuivie se découvrit-elle à lui ? Il paraît que non. Il se plaignit, dit-on, que le problème auquel il avait réfléchi toute sa vie ne lui fût pas resté moins obscur. Qu’importe ? Le doute est un hommage qu’on rend à la vérité. Après tout, s’il pécha contre elle, ce fut pour l’avoir trop aimée. Il voulut la posséder trop absolue. La vérité est comme les femmes capricieuses, que l’on perd, dit-on, pour les trop aimer. Un certain air d’indifférence réussit mieux avec elle. On la poursuit, elle fuit ; on s’arrête, fatigué, découragé : elle vient à vous ; mais pour cela il faut un degré de froideur dont les belles âmes sont rarement capables. Elles se jettent sur le nuage où elles croient que Dieu demeure, et quand elles en ont reconnu le vide, elles éclatent en reproches, parfois en blasphèmes contre l’ombre qui les a trompées : blasphèmes excusables sans doute, puisqu’ils partent de l’amour qu’on a pour la vérité, et qu’ils ne sont qu’une autre manière de l’adorer !

Oublié trop vite des partis, qui ne songent point à relever leurs morts, objet d’horreur pour les âmes pieuses qui ne pardonnent pas aux grands cœurs de préférer la vérité à eux-mêmes, Lamennais s’est vu abandonné, sans sépulture, à la place où le sort l’a frappé ; sa cendre n’a recueilli que le silence ou la malédiction. Nous avons voulu donner l’hospitalité à son âme errante, et prononcer sur elle quelques paroles d’une sympathique impartialité. La médiocrité satisfaite trouve commode d’insulter l’homme de génie qui ne jouit pas comme elle du privilège d’être infaillible et impeccable. Que ceux qui le condamnent s’interrogent et se demandent s’ils seraient, à son exemple, prêts à donner leur vie pour l’intégrité de leur pensée. Dieu l’a jugé, et il connaît maintenant le mot de cette énigme qu’il a si courageusement essayé de résoudre. Qui sait si une belle déception n’a pas trompé son attente désespérée, et si ses erreurs, fruits d’une soif ardente de la vérité, ne seront pas des titres pour la posséder ? Nous croyons qu’il fut absous, s’il arriva à l’apaisement de ses colères et à la parfaite purification de son cœur ; que ceux du moins qui veulent lui faire acheter sa gloire au prix de l’enfer le placent, comme Dante l’eût fait, dans le cercle de ces nobles réprouvés dignes de faire envie aux élus !


ERNEST RENAN.