en vouloir longtemps et sérieusement à un jeune fou dont la vie, fort heureusement pour lui, démentait ses écrits, et dont les âpres épigrammes semblaient presque inoffensives, par cela seul que le poète agresseur avait tous les vices du prince attaqué ? Insupportables chez un homme de quelque valeur morale, et dont la réputation eût garanti la sincérité, n’avaient-elles pas pour antidotes, quand il s’agissait d’un Rochester, toutes les extravagances du jeune auteur, qui certainement, plus vertueux, plus digne d’estime, n’aurait pas eu impunément autant d’esprit et de courage ?
Rochester était donc chaque année exilé, puis pardonné. Pour chaque exil, sa fertile imagination lui fournissait un passe-temps nouveau. L’une de ces rubriques, passant par quelque recueil d’anecdotes, est tombée dans le domaine banal du vaudeville. Nous en avertissons charitablement ceux de nos faiseurs qui croiraient dépister un sujet nouveau dans l’historiette que Saint-Évremond raconte, et dont voici la substance.
Rochester ayant rudement brocardé Nell-Gwynn, dont, — circonstance aggravante, — il avait été quelque temps le protecteur, fut immédiatement banni de la cour. Un autre favori, également en disgrâce, courait aussi le pays. C’était le fameux George Villiers, duc de Buckingham. Ils mirent en commun, et leurs griefs, et leur besoin de se distraire. Comme jadis Astolfe et Joconde, les voilà pourchassant les plaisirs de province, les aventures de voyage. Sur la route de Newmarket, une auberge à louer frappe leurs yeux. L’auberge était alors, — voyez plutôt les romans d’il y a cent ans, — le théâtre obligé de toute rencontre singulière. Y loger était déjà une excellente occasion d’intrigue, à plus forte raison s’y installer en maître et seigneur du lieu. Aussi nos deux étourdis n’hésitèrent pas, chacun d’eux devant tour à tour exercer l’autorité suprême dans l’hôtellerie prise à bail, Avec de tels patrons, la renommée de ce cabaret devait grandir promptement ; ils y tenaient table ouverte, et les maris, les pères, les oncles, les frères de toute voisine un peu passable trouvaient là bonne chère et long crédit. S’ils se grisaient, on ne s’en plaignait pas, et leurs femmes, filles, nièces ou sœurs, n’en étaient que mieux accueillies par nos galans cabaretiers.
L’invraisemblance d’une pareille combinaison et la rumeur qu’à la longue elle devait soulever ne permettaient pas d’espérer qu’elle se maintînt très longtemps. Ceci d’ailleurs n’aurait convenu que médiocrement aux deux brillans étourdis, leur but principal étant peut-être de bien convaincre le roi que sa couronne n’avait rien à craindre de leurs entreprises, fort étrangères à la politique. Or le roi, qui faisait très fréquemment le voyage de Newmarket, ne pouvait manquer d’apprendre leurs faits et gestes, dès que la chronique