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couplets où Rochester jadis a disséqué les imperfections physiques d’une autre fille d’honneur, mais dans lesquels son adroite ennemie a pris soin de substituer le nom de Temple à celui de la personne si odieusement diffamée.

Comment se vengea Rochester dûment averti par la petite Sarah et secondé par Killegrew, nous ne le redirons pas après Hamilton. C’est dans les Mémoires de Grammont qu’il faut lire cette excellente scène de comédie où nos deux libertins, par une infernale mystification, font si scrupuleusement expier à miss Hobart ses méchant propos, à miss Temple sa niaise crédulité.

« Cette aventure, nous dit Hamilton, précéda le troisième exil de Rochester. » Et des deux premiers il n’a pas été question. L’histoire a vraiment d’impardonnables négligences. Il est vrai qu’elle eût eu quelque peine à suivre pas à pas les disgrâces de Rochester, qui revenaient « pour le moins une fois l’an. » Elles avaient toujours le même motif, à savoir l’incroyable liberté de langage et de plume que le jeune favori s’était arrogée. Le prince, ses ministres, ses maîtresses surtout, sollicitaient tour à tour sa muse aux plus périlleuses audaces. Un jour, comme dans la Satire on the Times, il vantait ironiquement la chasteté du roi, sa fidélité aux sermens, sa constance en amitié, la crainte qu’il sait inspirer au loin ; il s’attaquait au fils chéri de Charles II et de Lucy Waters, à ce Monmouth si beau, si populaire et si lâche ; il se moquait des défauts diplomatiques de Sunderland, qu’il appelle « notre Caton, » en même temps qu’il le montre acquis à toutes les intrigues du duc d’York ; il prenait à partie, l’un après l’autre, les beaux esprits de la cour : Mordaunt et ses vers dénués de sens, d’Eyncourt et ses airs spadassins, Ratcliffe, Isham, et leurs écrits de mauvais lieu. Une autre fois il isolera le roi de tout ce qui l’entoure, il fera converger sur lui seul toutes les flammes éparses de sa verve aux mille jets, comme dans cette pièce qu’un accident, une maladresse quelconque, fit tomber entre les mains de Charles II lui-même[1]. Il prend ici de telles licences, et les débordemens du monarque y sont peints de telles couleurs, que devant elles reculent et la haine la plus sincère et la pudeur la plus aguerrie. La gent littéraire ne connaît plus ces hyperboles hardies, peut-être par cette simple raison qu’elle n’est point blasonnée et va rarement à la cour.

On comprend, en lisant ces vers effrénés, les colères du « vieux Rowley ; » ses fréquens pardons se conçoivent aussi quand on réfléchit à ce que devait être un censeur comme Rochester. Comment

  1. Elle est ainsi intitulée dans le recueil de ses Œuvres : A Satire which the king took out of his pocket, — « Satire que le roi prit dans la poche de l’auteur. »