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Laissons maintenant dans leurs paisibles retraites ce petit noyau de professeurs et de savans qui se renfermaient avec leurs livres et s’isolaient autant que possible du reste du monde. Lord Cockburn va nous introduire dans la société aristocratique, à laquelle il appartenait par sa naissance et ses relations de famille. Edimbourg avait encore à cette époque un air de capitale : on n’y trouvait ni commerce ni industrie ; c’était une ville d’études et de plaisirs, mais de plaisirs comme on les comprenait alors, graves, méthodiques et réguliers. Les grandes familles du pays y venaient passer au moins les hivers, attirées par les facilités qu’elles y trouvaient pour l’éducation de leurs enfans et par les agrémens d’une société élégante et polie. Presque toutes d’ailleurs étaient alliées aux membres de la haute magistrature, que les devoirs de leur état et la présence des cours de justice retenaient à Edimbourg. Les jours de cérémonie et les dimanches, on y pouvait donc voir, dans toute la richesse du costume traditionnel et brillant d’un éclat un peu suranné, les dernières grandes dames que l’Ecosse ait comptées, les beautés d’autrefois, qui, après avoir excellé dans le menuet, régentaient souverainement, au nom de la règle et des convenances, leurs jeunes contemporaines.

« Excepté mistress Siddons dans ses rôles de royale majesté, personne ne savait s’asseoir comme la châtelaine d’Inverleith. Elle s’avançait à pleines voiles comme un vaisseau sortant du port de Tarsis, resplendissante de velours ou ruisselante de soie, portant à merveille tous les accessoires : éventail, boucles d’oreille, bagues, manchettes, flacon, tout cela magnifique et pourtant du goût le plus parfait. Manœuvrant ce gréement un peu lourd avec autant d’aisance qu’un cygne peut faire de ses plumes, elle prenait possession du centre d’un large sopha ; au même moment, sans le moindre effort perceptible, elle le couvrait tout entier de ses atours, et les plis gracieux de sa robe semblaient s’étaler d’eux-mêmes sur le meuble comme un flot paisible. Sa façon de descendre de sa voiture, où elle se tenait comme un nautile dans sa coquille, était un tour de force que personne de nos jours ne pourrait accomplir ni même imaginer. Le carrosse d’un noir d’ébène, immense sans paraître trop grand pour ce qu’il contenait, quoiqu’elle y fût seule, le cocher fastueux avec sa housse chargée de broderies, les deux laquais en livrée qui se tenaient respectueusement des deux côtés du marchepied, tout cela disparaissait devant la lente majesté avec laquelle la grande dame descendait et touchait la terre. C’est avec ces airs de reine qu’elle présidait les excellens dîners de son fils, y déployant, jusqu’au dernier jour d’une vie fort longue, infiniment de tact et de dignité.

« Lady Don était plus grande dame encore, comme l’attestaient son exquise amabilité et l’élégante aisance de ses manières. Les restes de sa beauté passée, ses cheveux blancs bien lissés, sa petite main étincelante des feux de ses diamans héréditaires, son bon cœur, ses façons affectueuses, sa voix caressante et son doux regard expliquaient la vive affection dont sa vieillesse