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trop animée nuit aux plaisirs de la table. Son plus grand chagrin était de voir ses convives ne remplir leurs verres qu’à moitié.


« L’embonpoint de lord Newton et ses exploits bachiques le rendaient très somnolent dans le monde et au tribunal ; il dissimulait cette faiblesse d’une façon curieuse. À l’audience, sa tête reposait généralement sur sa vaste poitrine ou sur ses mains, qu’il croisait, les coudes appuyés sur la table. Dès qu’il avait une idée de l’affaire en litige, ses yeux se fermaient d’un vrai sommeil. Pourtant, par la force de l’habitude et par l’effet d’une oreille et d’une intelligence remarquablement promptes, il était impossible qu’on dît une parole valant la peine d’être entendue sans que Newton ouvrît aussitôt son énorme paupière. Il tenait ses grands yeux perçans dirigés comme des mortiers sur l’orateur, jusqu’à ce qu’il eût saisi tout ce qui était nécessaire. Dès que l’avocat retombait dans les redites, la paupière du juge s’abaissait de nouveau jusqu’au prochain éclair. Le seul moyen de tenir Newton éveillé était de donner de bonnes raisons, et il était infaillible. Jamais juge ne fut plus maître des affaires qu’il avait à décider. Les étrangers s’étonnaient de son sommeil perpétuel ; mais quand, ils le voyaient s’animer et émettre son opinion, ce qu’il était toujours prêt à faire sur-le-champ, l’exactitude avec laquelle il posait les questions et la lumineuse rigueur de ses vues leur faisaient prendre en dédain les juges dont les yeux ne se fermaient jamais. »


Ce n’était pas seulement dans leur intérieur et au club que les magistrats d’autrefois sacrifiaient à Bacchus : ils demandaient habituellement à la dive bouteille des lumières pour leurs arrêts.


« On plaçait devant les juges, sur leur table, sans la moindre dissimulation, de pleines bouteilles de vieux Porto, de grands et de petits verres, des carafes d’eau et des biscuits. Pendant quelque temps, leurs seigneuries ne paraissaient occupées qu’à prendre des notes ; les rafraîchissemens demeuraient intacts et comme dédaignés. Bientôt on mettait un peu d’eau dans le grand verre et on la buvait tout doucement, comme pour soutenir la nature ; puis on se permettait quelques gouttes de vin, mais toujours avec de l’eau ; enfin, la patience venant à manquer, on vidait un plein verre de vin pur. Les choses allaient ensuite d’elles-mêmes, ce n’était plus qu’une suite de collations et de rasades à exciter l’envie des gosiers desséchés qui remplissaient la galerie. Les fortes têtes soutenaient assez bien ce régime, qui agissait, et d’une façon assez manifeste, sur les cerveaux faibles. Ce n’est pas que l’hermine en vînt à une ivresse complète, mais quelquefois elle était certainement hors de son assiette. Pourtant c’était chose si ordinaire pour ces sages personnes que cela ne produisait aucun changement en elles : rien n’était visible à distance, et ils acquéraient tous l’habitude de siéger et de faire bonne contenance, même quand leurs bouteilles étaient mises à sec. Ces repas en plein tribunal n’avaient pas lieu, autant que je sache, dans les tournées d’assises ; le mal revêtait une autre forme. Les tentations de l’auberge amenaient fréquemment une suspension complète de l’audience : juges, avocats, greffiers, jurés, prévôts, allaient ensemble faire un bon dîner après lequel ils retournaient décréter force transportations et force pendaisons. J’en ai été