Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/916

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séductions de la personne à une âme noble et à une belle intelligence. Dans le monde, il était doué d’un charme irrésistible ; à l’audience, sa voix harmonieuse captivait à elle seule l’attention, son éloquence remuait les jurés, son savoir étonnait et ébranlait les juges. On avait pu lui retirer le titre de doyen de la faculté : on n’avait pu lui enlever la première place au barreau, l’admiration du public et la confiance des familles. Tous ses confrères s’inclinaient devant sa supériorité ; sa réputation, depuis longtemps faite, lui assurait la plus brillante clientèle, et sa bonne grâce, son esprit, son heureux caractère, faisaient lever pour lui l’interdit qui pesait sur tous les libéraux.

Erskine allait donc la tête levée dans Edimbourg, ne dissimulant pas ses opinions et accueillant avec le même dédain les avances et les attaques du parti dominant ; mais n’était-il pas condamné à demeurer toujours un général sans armée ? D’où lui viendraient les adhérens, alors que les tories mettaient tout jeune homme qui débutait dans le monde en présence de cette alternative d’une fortune rapide ou d’un complet ostracisme ? Qui donc choisirait volontairement pour son partage la lutte sans espoir, le sacrifice inutile, le renoncement à tout avenir ? Et cependant la moisson de la liberté leva, plus belle et plus abondante que les vœux les plus présomptueux n’eussent osé la souhaiter.

Ce n’était point en vain que ce petit coin de terre avait été pendant près d’un demi-siècle un foyer de lumières et d’activité philosophique. Hume avait soumis à son audacieuse critique les principes les plus incontestés ; Reid et Adam Smith avaient revendiqué les prérogatives de la raison humaine et son droit à ne s’incliner que devant la vérité. La voix éloquente de Dugald Stewart enseignait tous les jours que la loi morale était seule souveraine en ce monde, et que l’accomplissement du devoir était préférable à tous les succès. La génération nouvelle s’habituait à l’idée de penser par elle-même. Au sortir des écoles, les jeunes gens entraient dans des sociétés littéraires où l’on s’exerçait à écrire et à parler : c’était la Société académique, c’était surtout la Société spéculative. On y traitait les questions les plus diverses et souvent les plus élevées : littérature, morale, économie politique, législation, tout était abordé par ces jeunes esprits, pleins de confiance dans leurs forces et stimulés par l’émulation. La contradiction était vive et les débats acharnés.

Mais dès que la discussion est possible, elle profite infailliblement à la vérité et à la liberté. Ces jeunes gens, étrangers jusque-là à toute idée politique et uniquement occupés de se préparer à leur carrière future, étaient tout étonnés de se trouver libéraux. Envisagés en eux-mêmes et dégagés des erreurs et des crimes qui les avaient