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titué le préfet de police, qui, pour rester dans le vrai, ne voulait pas avouer les méfaits des unionistes, et, par une bizarrerie de plus, il a transformé cette destitution en une démission volontaire de la part du préfet, lequel a été obligé de protester. Au demeurant, M. Vogoridès s’est vu réduit à la cruelle extrémité de reconnaître lui-même que les élections ne pourraient pas être maintenues. Il justifiait par son propre aveu, la demande qui était faite à Constantinople. Les quatre puissances avaient donc pour elles l’évidence des faits, l’autorité du droit, la clarté des stipulations diplomatiques. Où voit-on la trace d’une intervention qui ne soit régulière et fondée ?

L’intervention abusive, elle a eu lieu ; cela n’est pas douteux ; elle est venue du représentant de l’Angleterre et de l’internonce d’Autriche, et jamais cela ne fut plus palpable que le jour où lord Stratford et M. de Prokesch se rendaient à la résidence d’été de Rechid-Pacha, et voulaient pénétrer jusque dans la salle du conseil. C’était le 18 juillet, au moment où le cabinet turc délibérait encore sur la possibilité d’ajourner les élections moldaves. Un des auteurs principaux de ce conflit à peine effacé, c’est certainement lord Stratford de Redcliffe. Hautain, impérieux, supportant mal les influences rivales, accoutumé à toute sorte d’initiatives capricieuses, même en dehors des instructions de son gouvernement, lord Stratford s’est fait une position exceptionnelle à Constantinople. Depuis longtemps, il voit plier devant lui toutes les volontés, et comme on l’a vu toujours rester à son poste, on s’est habitué à le considérer comme inébranlable. Il a fait et défait souvent des ministères, et il y a une circonstance plus singulière encore, qui est assez peu connue, parce qu’elle a disparu depuis dans de grands événemens : c’est qu’en réalité la dernière guerre est due peut-être à une initiative toute personnelle de lord Stratford. On se souvient sans doute d’une note qui fut délibérée à Vienne par toutes les puissances au début du conflit avec la Russie, et qui fut soumise à l’acceptation de la Porte. Les cabinets de Paris et de Londres avaient chargé leurs représentans à Constantinople de déterminer l’adhésion du cabinet ottoman à la note de Vienne. Lord Stratford exécutait ses instructions comme agent officiel ; seulement il ajoutait que lui personnellement, il engageait le cabinet turc à ne point accepter ce qu’on lui proposait. La Porte se fia à l’ambassadeur plus qu’au gouvernement anglais. On sait ce qui a suivi. Ce n’est peut-être pas la plus mauvaise pensée qu’ait eue lord Stratford dans sa vie ; il est facile cependant de voir à quels cruels embarras un tel agent peut exposer son gouvernement, lorsqu’il se jette dans une voie d’aventures. C’est ce qui vient d’arriver. Pourquoi le ministre anglais à Constantinople a-t-il mis cette passion étrange et aveugle dans l’affaire des principautés ? C’est ce qu’on ne pourrait dire. Toujours est-il qu’il n’a voulu rien voir. Il a cru, de concert avec M. de Prokesch, qu’il serait possible d’aller jusqu’au bout. De là cette ténacité mise, au dernier instant, à retenir la concession que la Turquie était prête encore à faire à la France. Cette dernière démarche était une erreur singulière à tous les points de vue, et particulièrement au point de vue des intérêts que lord Stratford et M. de Prokesch s’étaient donné la mission de servir à outrance. C’était ajouter une maladresse insigne à la violence.

Cette concession du 8 juillet, qui consistait à retarder les élections mol-