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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/111

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preuve, et qui oblige tout de suite à admettre que la diversité entre les animaux n’est point originelle, et que leur distribution n’a pas été fixée dans un plan général, établi dès le commencement de la création ; ou bien il faut reconnaître que la diversité des animaux est un fait déterminé par la volonté du Créateur, et que leur distribution géographique est une partie du plan général qui embrasse tous les êtres organisés dans une grande conception organique : d’où il suit que ce que nous appelons les races humaines sont des formes distinctes primordiales du type humain. »

La critique trouverait beaucoup à redire aux raisonnemens sur lesquels sont appuyées ces conclusions, notamment à la définition que M. Agassiz est obligé d’admettre pour ce qu’on appelle en histoire naturelle l’espèce, définition que peu de zoologistes seront tentés d’accepter. Il faut se borner ici à faire une seule remarque. La question de la diversité des races humaines se rattache, en Amérique, aux plus redoutables questions politiques : les partisans de l’esclavage s’emparent avec empressement des argumens que leur fournissent les savans, dont le public accepte volontiers les arrêts, parce qu’il les croit désintéressés et inspirés par le seul amour de la vérité. Sans doute, les différences anatomiques qu’on signale entre les races ne peuvent légitimer l’oppression des unes par les autres, puisque nous ne voyons nulle part qu’elles aient pour conséquence l’abolition du sentiment de l’indépendance personnelle et des passions dont la servitude arrête ou dénature l’essor ; mais l’intérêt tire les conséquences les plus forcées d’un principe, et dans une aussi grave question il est presque obligatoire de protester contre toute fausse application. Si M. de Humboldt pouvait récemment écrire que parmi les pages de ses nombreux ouvrages, c’est à celles où il exprime sa réprobation contre l’esclavage qu’il attache le plus de prix, M. Agassiz ne trouvera rien dans ses écrits qui lui permette un semblable témoignage. Il a au contraire consenti à prêter sa collaboration à une œuvre qui, débarrassée de son appareil scientifique, n’est en définitive qu’un long pamphlet destiné à défendre l’esclavage ; il a fourni une pièce justificative à un livre qui sert une cause détestable. Ses ennemis, s’il en avait, pourraient l’accuser d’avoir montré trop de complaisance pour les préjugés du pays qui l’a adopté, et le comparer à ceux de ses compatriotes qui quittent l’air libre des montagnes natales pour aller mettre leur épée au service de quelque tyrannie étrangère. L’auteur des recherches sur les glaciers et sur les poissons fossiles a heureusement trop de titres à la popularité et à la reconnaissance même de l’Amérique pour qu’il lui soit nécessaire d’en rechercher de semblables : il est venu apporter à la nation qui grandit de l’autre côté de l’Atlantique un bien plus précieux que tout ce qu’elle peut lui donner en échange, un talent mûr et élevé, une