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coquins originaux, — et dans une ballade magnifique, the Jolly Beggars, le poète national de l’Écosse Robert Burns, a résumé en quelques strophes immortelles les joies misérables, les sordides amours, la vie entière de la canaille britannique. Enfin un homme de génie manqué, et dont les écrits sont aujourd’hui un peu trop dédaignés, Tobias Smollett, s’est appliqué presque exclusivement à la peinture des bas-fonds de la société. Roderick Random, Peregrine Pickle, Humphrey Clinker, le Comte Fathom, sont des romans picaresques au même titre que les romans de Mendoça et de Quevedo. Cette tradition picaresque s’est interrompue dans la littérature anglaise. La véritable littérature picaresque de l’Angleterre aujourd’hui, ce sont les statistiques et les rapports officiels. Les poètes et les romanciers observent bien toujours les carrefours de la société, mais ils ne sont plus des observateurs tout à fait indépendans, et c’est avec douleur, dans un intérêt social ou politique, qu’ils la décrivent. M. Borrow a eu l’honneur de renouer cette tradition ; seulement sous sa plume cette littérature a changé de caractère. Rien n’est sombre, sinistre, brutal, criminel comme les héros et les mœurs qui sont représentés dans la littérature picaresque de l’Angleterre. Ce caractère a disparu dans les écrits de M. Borrow, non-seulement dans ceux ou il décrit les mœurs des bohémiens et où il raconte sa vie errante en Espagne, mais même dans ceux où il raconte sa vie d’aventures sur les grands chemins de l’Angleterre. Ses vagabonds irlandais, ses maquignons, ses étameurs forains, n’ont rien de repoussant. Il a une préférence marquée pour les vagabonds honnêtes. Un peu de coquinerie ne lui déplaît pas cependant, pourvu qu’elle témoigne de certaines qualités naturelles qui auraient pu être mieux employées.

Nos lecteurs connaissent les précédens ouvrages de George Borrow, the Zincali, la Bible en Espagne et Lavengro. Le Gentilhomme bohémien (the Romany Rye) est la suite de ce dernier ouvrage, et nous transporte encore sur toutes les grandes routes de l’Angleterre il y a trente ans. On n’ignore pas ce qu’est Lavengro ou George Borrow, un mélange du bohémien, de l’érudit et du missionnaire. Après nous avoir raconté comment il avait appris la langue erse, comment il s’était affilié aux bohémiens et avait gagné leur confiance, comment il avait, avec l’aide de la belle et gigantesque Isopel Berners, vaincu l’étameur rouge, terreur de ses confrères, M. Borrow abandonnait son héros en pleine campagne, dans un creux ignoré de l’Angleterre, près d’un campement de bohémiens. Lavengro s’endormait après avoir souhaité poliment le bonsoir à Isopel Berners, la chaste compagne de sa jeunesse errante. C’est dans ce même creux que nous retrouvons Lavengro au commencement