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petit chef-d’œuvre de même genre, — mais en vérité je n’ose pas. On a déjà pu remarquer l’animosité de M. Borrow contre l’église de Rome ; cependant les conversations immorales de l’homme noir ne sont rien auprès des exploits de Murtagh, le séminariste irlandais. Murtagh est ce personnage bien connu des lecteurs de M. Borrow, qui avait jadis appris à Lavengro la langue irlandaise. Ce dernier rencontre son ancien maître sous l’habit de saltimbanque, et apprend son histoire de sa bouche. Nous résisterons pour plusieurs motifs à la tentation de la raconter. Que ceux de nos lecteurs qui connaissent l’anglais la lisent ; ils y verront comment Murtagh fut envoyé à Livourne, au séminaire irlandais, pour devenir savant en théologie, comment à son tour il rendit tout le séminaire habile dans l’art de manier les cartes, qu’il savait manœuvrer avec une rare dextérité, comment il gagna à la fois l’admiration et l’argent du portier, du cuisinier, de l’aumônier, de l’économe, et fit tant que sa réputation arriva jusqu’au directeur de l’établissement, homme grave et de mœurs austères, qui désira faire sa connaissance ; comment Murtagh s’aperçut que cet homme austère était encore plus fort que lui dans l’art de corner, de donner le coup d’ongle, de couper au petit pont, et quelles scènes suivirent cette découverte. À plus forte raison m’abstiendrai-je de raconter l’habileté que Murtagh montra plus tard en Irlande dans le métier d’exorciste, qu’on ne pouvait en effet confier à des mains plus agiles. Une fois il délivra une femme de deux démons qui sortirent de sa bouche sous la forme de deux anguilles ; une autre fois il fit une cure plus miraculeuse, et délivra une possédée de six démons qui sortirent sous la forme d’une unique souris blanche… Nous recommandons cette histoire, non certes pour les passions mesquines et les préjugés haineux qui l’ont inspirée, mais pour son mérite littéraire : elle peut soutenir sans désavantage la comparaison avec les meilleures pages du Baron de Fœneste, et peut se lire après n’importe quel roman picaresque.

Le Gentilhomme Romany se termine brusquement après l’histoire de Murtagh et ne finit pas plus en réalité que ne finissait Lavengro. Un sergent recruteur s’approche du jeune aventurier et lui propose de s’engager au service de la compagnie des Indes. « Pourquoi faire ? — Pour combattre les Kauloes, un tas de coquins qui ne valent pas la corde pour les pendre. — Kauloes ! et que signifie ce mot ? — Noirs, reprit le sergent recruteur ; et nous, ils nous appellent Lolloes, c’est-à-dire rouges, dans leur exécrable jargon. — Vraiment !… Mais, dis-je, c’est le jargon de M. Petulengro et de Tawno Chikno ; je ne serais pas étonné maintenant qu’ils fussent d’origine indienne. J’ai envie d’aller voir ce pays. »

Ainsi se termine cette nouvelle partie de l’odyssée humoristique