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sur une guinée, il ne prenait jamais plus de neuf pence, et sur une large pièce espagnole jamais plus d’une demi-couronne. À part le métier qu’il faisait, dit son petit-fils, c’était un homme moral, bon père et bon époux, et qui se laissa pendre pour ne pas dénoncer ses complices. Son fils fut aussi un homme moral et un coquin : bon sang ne peut mentir. Il vécut d’abord honnêtement, mais des revers de fortune arrivèrent. Pour se tirer d’affaire, il trouva commode de mettre en circulation de faux billets de banque. Après quelques années de ce commerce, il fut pris, malgré son habileté à se travestir, et, en considération de quelques dénonciations qu’il consentit à faire, condamné seulement à être transporté. Le jockey se rappelait cette circonstance avec amertume ; il regrettait que son père n’eût pas eu plus de fermeté d’âme à l’heure de la mort, et n’eût pas suivi l’exemple de son aïeul. Le jeune orphelin s’en alla vivre alors avec le vieux Fulcher, qui avait pour véritable profession le vol, et pour métier apparent la fabrication de paniers d’osier dont la matière première ne lui coûtait jamais rien, car il la prenait dans les propriétés d’autrui. Le vieux Fulcher était un voleur sans audace ; il ne dépassait jamais le simple délit. Il ne comprenait pas qu’on pût commettre un vol qui vous menât à la potence. En conséquence, il se bornait à de petits larcins, dont le plus grave, au moins par ses résultats, fut celui d’une carpe monstrueuse qu’un gentilhomme spleenetic de son voisinage s’amusait à nourrir de sa propre main. Le pauvre gentilhomme devint plus mélancolique que jamais après ce larcin, et finit par se pendre. « Ce qui est un jeu pour l’un est la mort pour un autre, » ajoute philosophiquement le jockey en terminant cette histoire.

Après la mort de ce prudent voleur, qui finit néanmoins par se casser le cou, son fils voulut continuer son commerce ; mais John Dale, l’honnête jockey, répondit à ses avances par un refus. Il résista même à la tentation d’épouser Mlle Fulcher, dont il fit sa femme plus tard cependant, lorsqu’après une odyssée picaresque des plus compliquées, il finit par la rencontrer, la corde au cou, dans un marché où elle avait été conduite par son mari. Il l’acheta moyennant la somme de 18 pence, que le vendeur se hâta d’aller dépenser au cabaret. John Dale eut la délicatesse de l’épouser, et il donne de cette détermination des raisons trop mémorables pour que nous ne les rapportions pas : « On m’a bien dit qu’elle était ma propriété, puisque je l’avais achetée la corde au cou ; mais, pour vous dire la vérité, je pense que tout le monde doit vivre de son métier, et je ne voulais pas agir avaricieusement avec notre curé, qui est un brave homme et qui a certainement droit à ses honoraires. »

Je raconterais bien volontiers l’histoire de Murtagh, — un véritable