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par sa majesté correcte, son énergie contenue et savante, sa solennité un peu gourmée.

Dryden fit hommage de ses premiers vers à la république. Né en 1631, il avait atteint, à l’époque où mourut Cromwell (1658), un âge auquel il n’est plus permis de se regarder comme « un jeune homme. » Il faut donc croire qu’en écrivant, sous l’impression de ce grand trépas, les Stances héroïques, qui furent sa première œuvre, il obéissait à un enthousiasme réfléchi. En deux ans, cet enthousiasme fit pourtant place à un autre qui n’y ressemblait guère, et la même plume qui avait qualifié Cromwell de « prince-géant, » qui le vantait de n’avoir pas ressemblé à ces « téméraires monarques » entraînés par leur jeunesse à des actes que leur âge mûr est ensuite contraint de répudier, — la même plume exalta l’intrépide jeunesse, le mâle courage et aussi la vertu, la sagesse profonde de Charles II, lorsque Charles II fut remonté sur le trône. Tout ceci, vu de près, s’explique aisément : les mœurs peu sévères font en général les principes peu solides et les opinions mal soutenues. Apparenté à des personnes de haut rang, aspirant à un mariage aristocratique, il fallait à Dryden, pour faire valoir sa belle figure, le luxe des vêtemens, les dehors de l’homme comme il faut, souvent incompatibles avec la pauvre et fière indépendance qui se refuse au patronage. Dans ces conditions, la poésie, devenue gagne-pain, tend volontiers sa besace orgueilleuse et accepte l’or de toutes mains, sans regarder à l’effigie. On a comparé aux conquêtes d’Alexandre les campagnes irlandaises d’Olivier Cromwell : on compare à l’exil de David celui de Charles Stuart. On a des flatteries à l’usage de quiconque est puissant et des hyperboles complaisantes qui s’adaptent, souples couronnes, au front de tous les vainqueurs. On dit au parvenu des révolutions, — nous citons les textes : — « Le ciel même est complice de nos louanges, car le ciel t’avait choisi. » On dit au roi légitime : « Ton crime, comme celui de David, était d’être l’oint du Seigneur. » Au fond, on a peut-être conscience de ce que ces palinodies intéressées ont de ridicule et d’avilissant, on n’aime plus à sentir peser sur son front le regard assuré de l’honnête homme ; mais qu’y faire ? Il faut vivre, et puis on a quelque raison particulière d’applaudir au retour de la monarchie… Cromwell avait traité les poètes de fort haut, sachant bien qu’on mène le monde sans belles paroles, et qu’un solécisme n’effarouchait nullement ses pieux soldats, ses « côtes de fer. » De la même main sacrilège qui saisissait les clés du parlement, il avait fermé les portes des théâtres, lieux de perdition pour l’âme, foyers de révolte pour l’intelligence. Il laissait aux rois de naissance les futilités de la flatterie, et s’inquiétait peu de passer à la postérité sur les ailes de quelques