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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/150

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strophes vénales. La preuve en est qu’ayant Milton sous la main, il méconnut ou méprisa ce que sa gloire pouvait attendre d’un pareil héraut. Tout au contraire, la restauration plaçait le sceptre aux mains d’un homme de mœurs faciles, qui, dans les loisirs de l’exil, s’était constamment entouré de baladins, de danseurs, de violons, en même temps que de femmes perdues. L’amant de Lucy Walters[1], de Catherine Peg et d’Elisabeth Killegrew avait hanté les théâtres parisiens bien plus volontiers que les conventicules d’Ecosse, et on lui savait un certain goût pour la comédie de cape et d’épée, les chansons à boire, les lampoons (refrains satiriques et bachiques, ainsi que leur nom dérivé du français le dit assez clairement), goût de bon augure pour les rimeurs aspirant à suivre la cour et à devenir les Benserade de cet autre Louis XIV. Les théâtres allaient donc renaître, et avec eux cette double source de profits que la complaisance des poètes, la facilité audacieuse des comédiennes savent également bien exploiter.

Peut-être, s’ils eussent mieux usé de ce don prophétique qu’ils s’arrogent, les poètes auraient vu d’un cœur moins ravi la restauration des Stuarts. Le fait est qu’ils furent éblouis, et Dryden tout le premier. : Astrée était de retour (Astrœa redux est le titre de sa première ode royaliste) : en conséquence il fit une comédie, et cette comédie, son début dramatique, fut jouée sous les auspices de la Castlemaine. Il l’en remercia par un compliment ad hoc, où, cette mégère superbe, qui s’imposa si longtemps par ses violentes allures à l’indolence de son royal amant, était comparée, — on ne le devinerait jamais,… — à Caton, oui, par tous les dieux, à Caton lui-même ! Encore lui donnait-on l’avantage dans ce parallèle inattendu :

Once Cato’s virtues did the Gods oppose
While they the victor, he the vanquish’d chose :
But you have done what CATO could not do, etc.

« Vous avez fait ce que Caton ne put faire… » Cela voulait dire qu’en se rangeant du côté du vaincu, la Castlemaine lui avait assuré la victoire. Et ce vaincu, c’est Dryden qui l’eût été, paraît-il, sans l’appui de Caton-Castlemaine ! Tout cela n’est-il pas incroyable[2] ?

Après le succès par ordre de cette comédie (the Wild Gallant), la scène fut ouverte à Dryden. Killegrew, directeur de la troupe de

  1. Lucy Walters ou Barlow, — on ne sait lequel, — fut la mère du duc de Monmouth, « une brune, belle, hardie, mais insipide créature, » d’après Evelyn (Journal, t. II, p. 11). On la croyait mariée à Charles II, dont elle devint la maîtresse en 1648, après avoir été celle du colonel Robert Sidney.
  2. Ce qui ne l’est pas moins, c’est que Walter Scott, citant quatre vers de ce compliment poétique, n’ait pas choisi ceux qu’on vient de lire. Ne l’auraient-ils pas étonné par hasard ?