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bien plus poétiquement exprimée. Cinq ou six strophes du Discours sur le Rien, — celles du début, — sont assez ingénieusement poétiques ; les autres, en vérité, doivent se classer parmi les épigrammes les plus vulgaires. On s’attend à une définition métaphysique, on est péniblement désappointé en la voyant tourner court pour faire place à une satire équivoque dirigée contre le « néant » de certains esprits, de certains dogmes, le « néant » des promesses royales, et aussi le « néant » des coffres-forts royaux : ce dernier trait, du reste parfaitement applicable aux finances délabrées de Charles II, qui, saigné à blanc par ses favorites avides, n’eut pas toujours sous la main de quoi payer un écot de taverne[1].

Nous trouvons plus d’intérêt à certaines pièces familières, où, sans y apporter de si hautes prétentions, Rochester esquissait d’après nature ce qu’on appellerait aujourd’hui des « tableaux de mœurs. » Ceux-ci, traités d’une main que rien n’arrêtait, et conformément à des goûts très peu scrupuleux, surabondent en détails scabreux, en nudités et crudités inadmissibles maintenant, sous cette forme du moins, et avec ce cynisme à brûle-pourpoint ; mais ils portent une date certaine, et, dégagés de quelques exagérations, ont dû être de très fidèles images.

Les nombreux lecteurs des Mémoires de Grammont doivent certainement n’avoir pas oublié un charmant petit paysage, enlevé de main de maître, à la Meissonnier, avec un sentiment de la nature qu’on ne s’attend pas à rencontrer chez un courtisan railleur et désabusé. C’est la description des « eaux de Tunbridge. » Placée là, comme elle l’est, entre deux ou trois chroniques de cour, elle fait l’effet d’un de ces jolis parcs que l’on a ménagés à Londres parmi les palais sombres, les colonnades enfumées, les portiques lourds et surchargés de sculptures. Hamilton, en quelques lignes, fait goûter la fraîcheur de « cette grande allée d’arbres touffus sous lesquels on se promène en prenant les eaux, » le comfort de ces « petites habitations propres et commodes, répandues sur une demi-lieue de gazons plus doux et plus unis que les plus beaux tapis du monde. » On voit parmi ces cottages, habités par les plus grands seigneurs de l’Angleterre, sur ces bowling-greens veloutés, le long de cette allée bordée de boutiques et où se tient une foire élégante, circuler ces gentilles villageoises, blondes et fraîches, qu’il dépeint « avec du linge bien blanc, de petits chapeaux de paille, et proprement chaussées, » colportant çà et là leurs légumes, leurs fruits et leurs fleurs.

  1. S’il faut en croire les bavardages du temps, ceci lui arriva notamment le soir où, ayant, après la comédie, emmené Nell-Gwynn à souper, il fallut régler le compte de sa soirée. La comédienne, qui ne connaissait pas sa royale conquête, se moqua sans se gêner de l’embarras où s’était mis cet amphitryon de hasard.