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fussent couvertes de pierreries et pussent risquer au jeu des boisseaux de guinées, ces matelots ont souffert la faim sans se plaindre. Ainsi ces armées qu’on vendait à un souverain étranger, à une nation rivale, elles ont obéi, marché, versé jusqu’au bout leur sang mercenaire, sans songer un seul moment à délivrer leur pays de ce joug qu’une intelligente aristocratie devait briser quelques années plus tard. Ainsi, parmi ces prêtres qui devaient un jour se révolter (quand leur influence cléricale fut menacée), pas un ne se trouva, pendant plus de vingt-cinq ans, pour protester, au nom de la religion insultée, contre ce monarque dissolu, en qui revivaient les débauches, mais à qui avait en même temps passé la suprématie religieuse d’Henry VIII, et qui, s’il offensait Dieu chaque jour, chaque jour aussi contrôlait la feuille des bénéfices. Ainsi dans le sein de ces parlemens dont la docilité servile embarrassa d’abord, — dont ensuite on amortit à beaux deniers comptans les velléités hostiles, — et qu’on avait fini par renvoyer, dès qu’ils gênaient, comme on renvoie un parasite importun, il ne se rencontra aucune assemblée qui se souvint de ce qu’avaient été les redoutables « communes, » leurs devancières. Comment ! Charles II a pu régner paisiblement, pendant un quart de siècle, sur des hommes qui avaient vu s’ouvrir et se clore la grande lutte de 1640, et dont beaucoup devaient participer plus tard à l’émancipation de 1688 ! Réflexions vraiment accablantes en ce qu’elles nous montrent les inconcevables défaillances de l’esprit public égalant ce qu’il y a de plus merveilleux dans ses élans indomptables !

Ce n’est pas tout : l’étonnement redouble encore quand on songe au jugement, définitif en apparence, que porte aujourd’hui le peuple anglais sur cette époque de son histoire. Il la sait à fond ; il ne semble pas la comprendre. Vainement mille témoins bavards et parfaitement irrécusables lui rendent compte, heure par heure, pour ainsi dire, de ce que fut la cour de l’avant-dernier Stuart. — Cette cour où un épicurien repu et blasé, le jouet et la risée de son immonde sérail, contresignait indolemment, entre deux bons mots et deux orgies, les arrêts de mort rendus par Jeffery, cette cour a gardé je ne sais quel prestige d’élégance et de splendeur devant lequel s’incline, ébloui, fasciné, l’hébétement sceptique de notre temps. L’assassin couronné d’Algernon-Sidney et de Russell est resté le « joyeux monarque, » le bon vivant, le causeur aimable[1]. Toute une

  1. N’est-ce pas le cas de placer ici l’épitaphe si connue que Rochester lui avait composée de son vivant :
    Ici gît le roi notre sire,
    Grand prometteur sans nul crédit ?
    Jamais sottise on ne l’ouit dire,
    Jamais chose sage il ne fit.