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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/195

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« Je l’emportai dans ma chambre et me mis à le feuilleter négligemment. Je rencontrai l’histoire de la brigade de Savolax, Je lus une page, puis une seconde. Je commençai à sentir battre mon cœur,

« Je voyais un peuple, qui perdait tout, excepté son honneur. Je voyais une armée victorieuse à la fois de la faim, du froid et de l’ennemi, et mes yeux se mirent à dévorer les pages ; j’aurais voulu en baiser chaque ligne !

« A l’heure du danger, dans le feu du combat, quel courage avaient montré ces hommes ! O patrie, toi si pauvre, as-tu été si aimée ! Comment as-tu inspiré un si tendre, un si profond amour à ceux que tu nourris de pain d’écorce !

« Et ma pensée s’élançait dans des régions que je n’avais jamais soupçonnées, et dans mon cœur circulait une vie aux enchantemens inconnus ; les heures fuyaient comme si elles eussent eu des ailes. Oh ! que le livre me parut court !

« Il était achevé, et la soirée aussi ; mais mon ardeur n’était pas éteinte. Que de questions à faire ! que de commentaires et d’explications à demander ! Je descendis chez mon vieil enseigne.

« Je le trouvai à sa place accoutumée et occupé de sa besogne ordinaire. Il m’accueillit d’un regard de mauvaise humeur ; qui semblait dire : — Quoi ! pas même la nuit tranquille !

« Mais moi, je n’étais plus le même ; j’avais bien d’autres pensées. — Je viens de lire la guerre de Finlande, lui dis-je sans préambule ; moi aussi, je suis Finlandais ; je brûle d’en savoir davantage, peut-être saurez-vous m’instruire ?

« En entendant ces mots, il me regarda tout étonné ; un éclair brilla dans ses yeux, comme s’il se fût retrouvé dans les rangs. — Oui ! dit-il, je puis en parler, si monsieur le désire, car j’en étais !

« Je m’assis sur son lit de paille, et il se mit à raconter. C’étaient les victoires de Duncker, les hauts faits du capitaine Malm, et tant d’autres exploits. Son regard devenait lumineux, son front clair ; je n’oublierai jamais comme il était beau !

« Il avait vu tant de sanglantes journées, partagé tant de périls, pris sa part de tant de victoires, et aussi de tant de revers dont le temps n’avait pas fermé toutes les blessures ! Tous ces souvenirs, déjà perdus pour le monde, il les gardait fidèlement dans son cœur.

« Je restais là, muet, à l’écouter ; pas un mot ne m’échappait ; la nuit était à moitié écoulée que je l’écoutais encore. Quand je le quittai, il me conduisit jusqu’au seuil, et serra avec joie la main que je lui offris.

« Depuis lors il ne fut jamais plus heureux que lorsque me voyait arriver. Nous partagions plaisir et peine, et nous fumions ensemble de mon tabac. Il était vieux ; moi, j’étais jeune ; je n’étais qu’un étudiant ; lui me paraissait plus qu’un roi.

« Ces souvenirs du vieillard, je les ai mis en vers, et les voici. Combien de fois, pendant la nuit tranquille, aux humbles lueurs de son foyer, je suis venu les recueillir ! Ce sont quelques simples récits, rien de plus. Je te les offre, ô patrie ! »


À la suite s’ouvre la série des glorieux épisodes auxquels la guerre de Finlande