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Qu’importe que ce soit notre sang qu’il ait versé ? C’était le droit de la guerre. Il était notre ennemi, et nous étions les siens. Il frappait de grand cœur, et nous aussi. Quel mal à cela ?

« Gardons nos haines pour le lâche. À celui-là seul honte et mépris ! Gloire à celui qui fournit bravement pour sa part la carrière des armes ! Hurra, joyeux et retentissant hurra pour qui s’est bien battu, ami ou ennemi ! »


On reconnaîtra que le poète est resté constamment fidèle au double sentiment de la sympathie et de la justice. Voilà un égal hommage rendu aux mêmes vertus, qu’elles se rencontrent chez les défenseurs de la Finlande ou bien chez ses ennemis. Runeberg n’a rencontré qu’une seule fois sous sa plume des expressions sévères et dédaigneuses : c’est lorsqu’il a mis en présence de tout l’héroïsme qui anime dans cette guerre de Finlande généraux et soldats l’incapacité déplorable et la puérile vanité de ce malheureux Gustave IV, qu’une révolution allait précipiter du trône de Suède dans un perpétuel et errant exil. Par sa colère impuissante contre la France révolutionnaire, par son entêtement à braver, lui tout seul, la toute-puissance de Napoléon, par ses téméraires efforts pour imposer à la France, lui tout seul, les Bourbons et la contre-révolution, Gustave IV était devenu la cause indirecte de l’invasion de la Finlande. Aussi aveugle devant le danger présent que devant les fautes qui le devaient produire, il en riait encore aujourd’hui, et paraissait croire qu’il suffirait, pour faire rebrousser chemin aux envahisseurs, de sa royale menace. Pour la rendre encore plus redoutable, il voulut bien ceindre l’épée de Charles XII, revêtir ses gantelets et ses bottes, et il ne douta pas du terrible effet que produirait sur les Moscovites la seule pensée d’une telle apparition. C’est précisément cette incroyable scène, dont le fond est historique, que le poète a choisie pour flétrir la lâcheté avec laquelle le gouvernement suédois abandonna la Finlande à ses propres efforts. Il est bien vrai que ce roi maniaque méritait quelque pitié. Le poète semble l’avoir compris ; la pièce est courte, et l’ironie paraît ne pas vouloir se prolonger au-delà de ce que réclame le ressentiment d’un indigne abandon ; mais dans ce peu de lignes, à vrai dire, l’ironie reste bien amère.


LE ROI.

« Et le roi Gustave IV Adolphe se leva. Et, debout dans la grand’salle de son palais, il rompit son long silence, ouvrit la bouche, et commença sa harangue. Et il avait, tout bien compté, trois auditeurs : le feld-maréchal Toll, le comte Piper, et Charles Lagerbring, ni plus ni moins.

« Et le roi prit la parole, et dit d’une voix grave : « Notre armée de Finlande malheureusement marche à reculons au lieu de marcher en avant. L’espoir que nous avions fondé sur Klingspor semble déçu, et Sveaborg, notre meilleur appui, a succombé.

« Nous avons compté longtemps sur l’Apocalypse, mais l’archange ne vient pas ; il ne s’est pas encore montré. Cependant voici que le bruit de la guerre se rapproche, et c’est pour nous, le roi, une chose digne de soucis.

« Donc ceci est notre résolution royale et la décision grave que nous voulons accomplir. Nous avons donné ordre qu’ici même nous soient apportées