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de tous côtés, c’est-à-dire accessible à tous les ravitaillemens, ce qui a fait comparer cette situation à celle de Sébastopol. Ce n’est plus devant Dehli au surplus que la lutte se concentre ; elle est partout, et partout aussi se succèdent les scènes sanglantes. À Cawnpore, le général sir Hugues Wheeler a été tué dans un engagement avec les Indiens. Réduite à l’impossibilité de continuer la lutte et découragée, la garnison a accepté une capitulation par laquelle on lui offrait la vie sauve ; mais la capitulation une fois signée, un des chefs insurgés du nom de Nana-Saïb a fait massacrer la garnison, des femmes, des enfans, après avoir souillé ces malheureux des plus odieux outrages. S’il était possible de saisir corps à corps cette insurrection et de lui livrer un combat direct, décisif, il n’est point douteux que la supériorité européenne se retrouverait tout entière, comme elle s’est retrouvée dans la plupart des engagemens qui ont eu lieu. Par une triste fatalité au contraire, les Anglais sont obligés d’être partout à la fois, et alors leur infériorité numérique les conduit à d’inévitables désastres. Il faut bien remarquer que même dans un temps normal cette infériorité est déjà grande. D’après une enquête officielle faite par ordre de la chambre des lords, l’armée des Indes comptait, il y a quelque temps, près de 300,000 hommes. Sur ce chiffre, il y avait moins de 50,000 Européens de l’armée de la reine ou de l’armée de la compagnie des Indes ; le reste se composait d’indigènes. Or maintenant l’armée indigène est ennemie, et les forces européennes doivent être singulièrement réduites, décimées qu’elles sont par le feu, par les maladies. Déjà, depuis le commencement de la lutte, les généraux Anson, Barnard, sont morts devant Dehli ; sir Henry Lawrence est mort à Luknow ; le général Wheeler a été tué à Cawnpore. Un grand nombre d’officiers ont péri massacrés. Qu’on rassemble tous ces faits, les défections en masse, les massacres, les mouvemens s’étendant comme une traînée de poudre et occupant les points les plus opposés, on en verra jaillir une vérité terrible : c’est que pour l’Angleterre c’est un empire à reconquérir. Il y a une chose non moins grave, c’est le caractère inexorable de la lutte qui commence. D’un côté, une véritable barbarie se fait jour par toute sorte de violences et de représailles implacables : femmes, enfans, rien n’est épargné ; d’un autre côté, l’Angleterre mesure le nouveau champ de bataille où elle compte déjà tant de morts avec un ressentiment amer. Il n’est point douteux qu’elle cherchera à tirer des insurgés indiens quelque vengeance exemplaire. Les journaux anglais, emportés par la passion du moment, ne parlent que d’exterminer les Hindous, de raser Dehli. La répression n’a pas besoin d’aller jusque-là pour être efficace ; dans tous les cas, c’est une guerre où l’humanité aura sans doute plus d’une fois à souffrir.

Il reste à se demander quelles ont pu être les causes de cette conflagration. Ce n’est pas un simple soulèvement religieux, puisque parmi les insurgés il y a des hommes de religions ennemies. Ce n’est pas un soulèvement purement national, puisque toutes les races se mêlent dans cette confusion. Il est vrai, on se trouve en présence d’une multitude de faits contradictoires, lorsqu’on interroge ce mouvement mystérieux. Ce n’est pas cependant la première fois que des hommes appartenant à des religions et à des races diverses, mais soumis au même joug, se réunissent contre le maître commun. Telle est la situation dans l’Inde. D’un autre côté, si la domination bri-