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jours et des louangeurs du temps passé et des détracteurs du temps présent, dira-t-on. — Il y eut toujours aussi des satisfaits. — Les uns, et les autres passent, le problème ne reste pas moins, et ce problème résume toute la vie des sociétés contemporaines, plus pressées d’agir que de savoir où elles vont. M. de Montalembert, qui présidait l’autre jour, au nom de l’Académie française, la réunion annuelle des cinq classes de l’Institut, ne croit pas au déclin peut-être ; il croit du moins à un grand péril, et il l’a signalé dans son discours avec l’ardeur militante de son éloquence, montrant l’envahissement croissant des instincts matériels, cherchant surtout à réveiller dans les âmes jeunes le culte des traditions de l’esprit, le goût des luttes et des travaux désintéressés, les fiertés délicates, les passions même, s’il le faut, — des passions à dompter et à féconder. Ce n’est pas la première fois, que des hommes comme M. de Montalembert, appartenant à la même génération ou à des générations antérieures, provoquent d’un généreux aiguillon cette jeunesse « qui semble déjà languir indifférente et énervée,… fatiguée avant d’avoir combattu, affamée d’un repos qu’elle n’a pas mérité. » Cette jeunesse existe sans doute par malheur ; elle vivait hier, elle vit encore aujourd’hui. On la voit mûre avant l’âge, sceptique, avant l’expérience. Il y aurait seulement à faire plus d’une distinction que M. de Montalembert n’a pas négligée. Il y aurait notamment plus de sévérité que de justice à rejeter exclusivement sur la génération, nouvelle la responsabilité d’une situation dont elle est la première victime, et où elle n’est pas seule après tout à ressentir le goût immodéré du bien-être, à rester indifférente pour la vérité, à rechercher les satisfactions promptes et hasardeuses. Pourquoi ne point le dire ? la jeunesse contemporaine n’a pas créé cette atmosphère dans laquelle elle s’est trouvée plongée. Elle souffre de la défaite des idées, des révolutions stériles et des déceptions accumulées dans notre temps, sans avoir été la complice de tout ce qui a pu contribuer à l’affaissement des esprits et des caractères. Conseillez-la donc, cette jeunesse ; faites appel à ses sentimens virils, élevez son regard au-dessus de l’horizon vulgaire des intérêts grossiers ou frivoles : ce sera une œuvre juste et salutaire autant qu’opportune ; mais ce n’est pas à elle seule qu’il faut parler, c’est à tous, « jeunes et vieux, » ainsi que le disait M. de Montalembert avec une chaleureuse sincérité, et même dans la distribution des justices contemporaines il ne faudrait peut-être pas commencer par la jeunesse, car dans sa vie et dans ses œuvres il y a toujours à faire la part de l’éducation qui la forme, des exemples qui l’instruisent, des influences qu’elle subit. C’est à tous les hommes qu’il faut rappeler sans cesse que, si les sociétés sont menacées par le déclin des forces morales, elles se relèvent par l’énergie du bien, par la vigueur des convictions retrempées dans l’épreuve. M. Viennet, qui a récité dans la dernière réunion de l’Institut une spirituelle épître après le discours de M. de Montalembert et après la lecture d’un fragment remarquable de M. Amédée Thierry sur l’élection d’un évêque de Bourges au Ve siècle, M. Viennet voit les choses un peu plus en philosophe, et il se console après tout en songeant que les hommes sont tels depuis Adam. M. Viennet est un satirique tout à la fois mordant et indulgent.

Les séances académiques sont-elles donc si étrangères par elles-mêmes à ces questions de progrès ou de décadence qui touchent à l’état moral et intellectuel