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dernier, n’était-on pas le véritable représentant de la science ? M. Renan se place au milieu du mouvement de l’Allemagne, et il en repousse les conséquences dernières comme une usurpation. « Admettre, dit-il, avant tout examen, que tel esprit léger et superficiel qui se présente pour recueillir l’héritage d’un homme de génie lui est préférable par cela seul qu’il vient après lui, c’est faire la partie trop belle à la médiocrité. Et voilà pourtant la faute que commet souvent l’Allemagne. Après l’apparition d’une grande œuvre de philosophie ou de science, on est sûr d’y voir éclore tout un essaim de critiques, qui prétendent la dépasser, et ne font souvent que la fausser ou en prendre le contre-pied. » Pour ceux qui ont suivi le travail des idées allemandes depuis le commencement de ce siècle, le principal intérêt de la tentative de M. Renan est précisément dans cette pensée. C’est par là que la publication de ce recueil d’études est un incident théologique qui ne saurait passer inaperçu au-delà du Rhin.

M. Renan écarte les vains systèmes des derniers temps, et il se replace au point où il croit que la science a fait fausse route. Emprunter le sentiment religieux à Schleiermacher, à cette école si chrétienne d’intention, si pieusement spiritualiste, mais si indéterminée dans ses formules, et unir cette inspiration à la netteté de l’esprit critique, tel est le désir qui l’anime. Le sentiment religieux s’est bien vite effacé chez tous ceux qui ont suivi la route ouverte par M. Strauss ; M. Renan veut maintenir ce sentiment religieux sans rejeter les résultats acquis par l’exégèse. Tandis que l’auteur de la Vie de Jésus, attristé, dit-on, du bruit qu’il avait fait, semblait renoncer à son rôle de théologien, tandis qu’il cherchait un refuge dans l’histoire littéraire, écrivant la Vie de Schubart, la Vie de Nicodemus Frischlin et surtout la douloureuse Biographie de Christian Maerklin, les écoles grossières avec lesquelles on le confondait injustement continuaient leur sabbat, et peut-être n’était-ce pas là l’un des moindres motifs de sa tristesse. M. Ernest Renan reprend la tache abandonnée par M. Strauss, ce qui ne veut pas dire qu’il lui ressemble. L’auteur des Études d’histoire religieuse a son originalité très distincte, et quelles que soient ses sympathies pour le biographe de Christian Maerklin, quelques affinités même qu’il y ait entre eux, il s’éloigne de lui sur des points décisifs. Je dis seulement que M. Strauss a renoncé à ses recherches, et que M. Ernest Renan poursuit les siennes dans une voie analogue ; ce point commun établi, que de différences les séparent ! M. Strauss est triste ; M. Renan connaît les joies de la science. M. Strauss est découragé ; M. Renan est plein de confiance et d’ardeur. Je crois savoir d’où viennent ces différences : M. Renan, je l’ai déjà dit, unit à l’amour de la critique un profond sentiment de la vie religieuse de l’âme, tandis que M. Strauss n’a plus d’autre