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C’est dans ce sens et à ce point de vue que la charité privée demeure bien supérieure à tous les modes et à tous les déguisemens de l’assistance légale. Son mérite et son charme consistent à naître et à s’épanouir à vue d’œil. C’est la fleur naturelle ; elle n’a qu’un jour, mais quelle couleur et quel parfum ! Puis à une fleur succède une autre fleur : la charité est si féconde ! Aussi que de bien elle a fait depuis que le christianisme en a déposé le germe au sein de l’humanité ! Pour traduire ce bien, les chiffres sont impuissans ; le premier et le plus beau titre de la charité est d’être ignorée et de s’ignorer elle-même ; elle relève de la conscience, non de la statistique. Quand M. de Watteville évalue à 17 millions les aumônes qu’elle répand, il est évident qu’il ne parle que des sommes ostensibles passant par les mains d’associations religieuses ou civiles, comme celles de Saint-Vincent-de-Paul, des petites sœurs des pauvres, et une foule d’autres qui sont assujetties à un certain contrôle et n’échappent pas à la notoriété ; mais les dons directs, qui pourrait en fixer le nombre et la valeur ? Qui pourrait estimer le produit des quêtes, des souscriptions, des loteries, de tout ce que l’on confie à des intermédiaires discrets ? C’est là le véritable domaine de la charité, le plus ancien et en même temps le plus fécond, celui que rien n’épuise et qui subsiste par sa propre vertu. Si la charité privée se trompe quelquefois, l’assistance légale a-t-elle plus de discernement ? L’une et l’autre franchissent souvent leurs limites, entretiennent le mal plutôt qu’elles ne le guérissent, et font des pauvres en les secourant ; mais la charité privée laisse du moins le malheureux où elle l’a pris, dans une condition précaire et sans certitude du lendemain, tandis que l’assistance légale, une fois qu’elle admet un individu sur ses listes, lui reconnaît un droit, le dispense de tout effort et donne à l’indigence le plus puissant et le plus redoutable encouragement, celui de la sécurité.


III

En terminant cette étude, je ne puis me défendre d’une réflexion. Voici un siècle bientôt qu’un souffle généreux se répandit sur le monde, et y fit éclore, sinon un sentiment nouveau, du moins une suite de manifestations nouvelles d’un sentiment dont on modifia jusqu’au nom. Ce qui s’était appelé jusqu’alors amour du prochain s’appela désormais philanthropie. Le nom et la chose répondaient à des besoins réels. Sur bien des points régnaient des coutumes empruntées à des temps barbares, et qui n’étaient plus en harmonie avec les mœurs. De grands esprits entreprirent, à leur éternel honneur, cette réforme nécessaire, et eurent la satisfaction bien rare de la voir s’accomplir de leur vivant. Jusque-là rien de mieux, la