Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de corruption et de mort ; mais les héritiers de Mahmoud et de Méhémet-Ali paraissent comprendre l’étendue de la tâche qui leur est confiée : ils semblent décidés à poursuivre l’œuvre réformatrice, et l’Europe ne saurait leur refuser ni ses encouragemens ni ses éloges. Un récent séjour en Égypte nous a permis d’étudier un des aspects de la réforme orientale, celui auquel est attaché le nom de Méhémet-Ali, et dont l’Europe ne s’est peut-être pas assez préoccupée depuis la mort de ce prince. Nous voudrions montrer ce que trois années d’un bon gouvernement peuvent faire pour la prospérité d’un pays obligé à la fois de réformer ses mœurs et ses institutions. La question mériterait à tous égards d’être examinée, quand même nous n’aurions pas à signaler là un des élémens du grand problème de la transformation de la Turquie. La réforme égyptienne a dû embrasser trois ordres de faits : l’administration d’abord, puis le système de la propriété, enfin le développement de la vie intellectuelle et des forces productives du pays. C’est dans cette triple direction aussi que se sont portées les recherches dont se grouperont ici les principaux résultats.


I

Le hatti-chérif de 1841, qui assurait à Méhémet-Ali et à ses descendans le gouvernement héréditaire de l’Égypte, a détaché de ce gouvernement les provinces conquises par les armes du vice-roi, c’est-à-dire l’Arabie et la Syrie. L’Égypte proprement dite forme la totalité de l’apanage que les puissances, après le traité de 1840, ont réservé à la famille de Méhémet-Ali, sous la suzeraineté de la Porte. Toutefois le même hatli-chérif y a joint les provinces de l’intérieur, la Nubie, le Kordofan, le Sennaar, et autres pays situés aux environs du point de jonction du Nil-Bleu et du Nil-Blanc avec le fleuve qui traverse l’Égypte et qui la féconde. Tel est le territoire sur lequel s’étend aujourd’hui l’autorité du pacha d’Égypte, et que, dans les dernières années de son règne, Méhémet-Ali a divisé en soixante-quatre départemens, sans comprendre les provinces du Soudan et abstraction faite du Caire, de Damiette et de Rosette, qui devaient être administrées à part.

La vie d’un chef d’état est bien courte, surtout quand il s’agit de fonder un empire. Méhémet-Ali n’eût-il fait cependant que conquérir l’hérédité pour ses descendans, c’eût été déjà beaucoup, car il assurait ainsi à l’Égypte la continuité d’un gouvernement qui est identifié à ses destinées et qui ne peut manquer de prendre intérêt à sa prospérité. Autre chose est une espèce de souveraineté héréditaire, autre chose une succession de gouverneurs qui ne songent