Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reparaissaient sur les marchés ; le cultivateur, n’importe sous l’empire de quelle influence, recommençait à travailler au-delà de ce qu’il fallait pour suffire aux besoins de chaque jour. L’Europe apprenait à compter sur l’Égypte pour compléter ses approvisionnemens en blés, graine de lin, sésame, cotons, etc. Le gouvernement du pays voyait ses revenus s’accroître considérablement. L’Égypte reprenait sa place dans le monde. Les états européens tournaient les yeux de ce côté quand ils avaient à calculer les chances de renaissance et de durée de l’empire ottoman. Ce fut l’âge d’or des négocians européens établis à Alexandrie. Ceux qui purent se mettre bien en cour firent des bénéfices énormes en achetant au pacha les marchandises à un prix déjà fort avantageux pour celui-ci, mais bien inférieur encore à la valeur qu’elles atteignaient sur les marchés d’Angleterre, de France et d’Autriche. D’après ce que nous avons dit du mode de perception des impôts et d’évaluation des récoltes versées par les cultivateurs dans les magasins du gouvernement, on comprend que des produits livrés ainsi à vil prix pouvaient supporter deux ventes : celle du pacha aux spéculateurs, celle des spéculateurs au commerce d’Europe, et laisser encore aux uns et aux autres un bénéfice considérable.

Les choses allèrent ainsi jusqu’en 1838. À cette époque, un traité fut signé entre les puissances européennes et l’empire ottoman. D’après ce traité, il fut convenu que chacun désormais pourrait trafiquer librement dans toutes les possessions relevant de la puissance turque, à la condition de payer un droit de sortie qui fut fixé à 12 pour 100 de la valeur. Cette convention s’étendait implicitement à l’Égypte et ne tendait à rien moins qu’au renversement complet du système de monopole en vigueur dans les états de Méhémet-Ali ; mais le vieux pacha n’était pas homme à renoncer si vite à un régime qui enrichissait son gouvernement. Précisément à cette époque il préparait son armée pour le grand coup qu’elle devait frapper en Syrie, sous la conduite d’Ibrahim. Ce n’était donc pas le moment de compromettre les finances du pays, ou du moins de diminuer ses revenus. Il tourna la difficulté. Il allégua que, les fellahs n’ayant pas d’argent pour payer les contributions, il se voyait encore dans la nécessité de percevoir l’impôt en nature. Ce mode de paiement le mettait dans l’obligation de continuer à recevoir les produits dans les magasins et à les vendre ; seulement il fit une concession à l’esprit du traité en ne les vendant plus à l’amiable. Cette concession n’était qu’apparente ; le pacha continuait à s’entendre avec des négociant ; il leur vendait, pour un prix fixé à l’avance, les produits dont il disposait. On faisait alors un simulacre d’enchères publiques. Les négocians, qui avaient des arrangemens secrets avec le