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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/363

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négligence et tant de dédain pour la vie humaine avaient signalé cet énorme travail.

Le canal fut fait. Il avait coûté cher : environ 7,500,000 francs, sans compter les hommes sacrifiés ; mais une grande pensée avait été réalisée, un nouvel élément de prospérité était acquis à l’Égypte. Les barques chargées des précieux tributs de l’intérieur arrivaient directement à Alexandrie, à moins pourtant que le fleuve n’eût dépassé, pendant l’inondation, une certaine hauteur, car il fallait en ce cas, pour éviter les ravages qu’eût causés infailliblement le débordement des eaux, fermer l’embouchure du canal avec une digue en terre palissadée, et les embarcations devaient être déchargées et rechargées à bras de l’autre côté de la digue. On alloua aux ouvriers un minime salaire. Pauvres gens ! leur sort eût été allégé même par cette rémunération bien faible, si l’on avait voulu la leur compter en argent ou même en nature ; mais point : on en fit déduction sur les contributions qu’ils avaient à payer, ce qui revient à dire qu’ils n’eurent à peu près aucun salaire.

On sait que le Nil charrie une grande quantité de limon qui, tout en fertilisant les terres, obstrue rapidement le lit des canaux. Le canal d’Alexandrie, auquel Méhémet-Ali avait donné le nom de Mahmoudieh en l’honneur du sultan régnant, ne tarda pas à s’ensabler. Moins de vingt ans après l’exécution, il était tellement chargé de vases et de détritus de toute espèce, que les fonds avaient sensiblement varié. En plusieurs endroits, ils s’élevaient tellement qu’on pouvait prévoir l’époque où les barques échoueraient en le parcourant ; mais les malheurs survenus pendant la construction du canal avaient tellement frappé les esprits, qu’on hésitait à en provoquer de semblables en entreprenant le curage du Mahmoudieh. Il existe encore en Angleterre quelques représentons d’une école politique qui vise à s’emparer un jour de l’Égypte. À l’époque dont nous parlons, ce parti était prépondérant, et il se montrait très hostile à Méhémet-Ali. Il ne lui avait point pardonné d’avoir réorganisé l’Égypte, de l’avoir mise dans une voie d’ordre et de progrès qui garantit son indépendance et forme le meilleur rempart contre l’ambition étrangère. Il se réjouissait fort de la destruction naturelle et lente, mais progressive, du canal Mahmoudieh. Il s’en faisait une arme contre le pacha, mettant en contraste les ambitieux projets qu’on lui prêtait, et contre lesquels s’était faite la coalition de 1840, avec l’impuissance où il était d’accomplir un simple travail d’utilité publique en Égypte même.

Quelque désir qu’ait pu concevoir Méhémet-Ali de relever ce défi, il en fut empêché jusqu’à sa mort, et ce n’est certes pas Abbas-Pacha qui pouvait tenter d’accomplir ce que son aïeul, n’avait pas