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étaient suivis par les poseurs de rails, qui étendaient sur le sol les lignes de fer avec une vitesse de 1 mètre 20 centimètres par minute, vitesse qui a pu atteindre à certains jours 1 mètre 33 centimètres par minute ou 80 mètres par heure, ce qui équivaut à la pose de 133 paires de rails dans une journée de dix heures de travail. Aussi, dès la fin du premier trimestre de 1857, avait-on achevé de poser les rails sur une longueur de 60 kilomètres. On calculait alors que les intentions du vice-roi auraient reçu leur accomplissement à l’époque qu’il avait fixée lui-même, et qu’avant un an le parcours entier du Caire à Suez serait en pleine activité de circulation. Tout porte à croire que cette prévision ne sera pas trompée.

L’Égypte n’a pas moins besoin de voies navigables que de chemins de fer, et l’entretien des canaux est même pour elle une question vitale. C’est par le moyen de ces artères artificielles qu’on est parvenu à fertiliser de vastes espaces de terrain situés trop loin des rives du fleuve pour recevoir directement le bienfait de ses infiltrations et de ses débordemens. Le canal Mahmoudieh a par exemple toute une histoire qui mérite d’être brièvement racontée.

Ce canal s’ouvre dans la branche de Rosette, près d’un village qu’on nomme Atfeh, et il se dirige, en décrivant de légères courbes, sur Alexandrie, c’est-à-dire au nord-ouest. Il diffère des autres canaux en ce qu’il est utilisé surtout pour la navigation, tandis que les cours d’eau artificiels ont pour principal objet l’irrigation ; L’utilité de ce canal est très grande. Alexandrie étant devenue le principal, sinon l’unique port d’exportation de l’Égypte, et d’ailleurs les bras du fleuve ne donnant que pendant certains mois de l’année accès à des bâtimens d’un faible tonnage, il fallait faire arriver jusqu’à la capitale maritime du pays les produits de l’intérieur par une voie continue et moins dispendieuse que les transports à dos de chameau.

Méhémet-Ali commença le canal Mahmoudieh en 1819 ; plusieurs années furent consacrées à ce travail. On y occupa plus de trois cent mille fellahs. Malheureusement on n’avait pris pour leur bien-être et même pour leur subsistance aucune des précautions qu’exigeait l’humanité ; on n’avait pas formé d’approvisionnemens de vivres sur les lieux. L’eau manqua en maints endroits sur l’étendue de vingt lieues que parcourt le canal ; puis l’excès de fatigue, les mauvais traitemens, engendrèrent des maladies qui emportèrent les ouvriers par milliers. Dans l’espace de dix mois, il en périt environ douze mille, dont les ossemens gisent sous les chemins de halage qu’on avait alors élevés des deux côtés du canal, et qui ont été remplacés récemment par une belle route. Une seule chose étonne, c’est que la mortalité n’ait pas été plus grande encore, alors que tant de