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mais bientôt, fatigué de tant de combats livrés dans son âme, il tomba malade. Une fièvre ardente le saisit et le mit à deux doigts de la mort. Lui-même se crut perdu. Quand il revint à la santé, il se trouva plus calme d’esprit, plus rassuré sur sa vocation. Ses idées prirent une allure sérieuse et grave qui ne leur était point habituelle, et qu’on peut remarquer dans ses derniers écrits. Des mots touchans, des élans d’une piété douce et tendre qu’il puisait dans la lecture assidue des livres saints se mêlèrent dès-lors aux traits de son esprit, naturellement épigrammatique et mordant. « O mon ami, écrivait-il à l’un de ses plus intimes confidens, je voudrais éteindre au prix de ma vie toutes les larmes qui se versent dans le monde, excepté celles de la prière. » La recommandation que lui faisait saint Loup d’appliquer son talent littéraire à des sujets religieux, quelque répugnance qu’il eût montrée auparavant pour ce genre de travail, devint un devoir pour lui. Il publia un grand ouvrage de philosophie chrétienne sous le titre de Livre des Causes ; il nous parle lui-même d’un Recueil de Préfaces qu’il avait composé pour les principales messes de l’année, de Contestations, suivant l’expression ecclésiastique employée au Ve siècle. Ce recueil était encore en usage dans l’église des Gaules du temps de Grégoire de Tours. Quant à la littérature profane, Sidoine prétendit l’avoir quittée, et le crut lui-même ; mais on s’aperçoit à ses lettres, toujours remplies d’allusions et de citations des auteurs païens, qu’il eut plus de peine à dépouiller son esprit du vieil homme qu’à l’arracher de son âme.

Ce fut surtout dans la sphère des sentimens politiques que le changement de Sidoine parut complet à tous les yeux. Cet honnête homme, dont on avait déploré plus d’une fois la faiblesse et les entraînemens vaniteux, transformé tout à coup par la conscience d’un grand devoir et par la responsabilité d’une grande mission, donna le spectacle d’une abnégation poussée jusqu’à l’héroïsme et d’un courage qui ne recula pas devant le martyre. L’empire romain n’eut pas en Gaule de plus solide défenseur que lui, attendu que, vis-à-vis des Barbares qui menaçaient l’extrême Occident, romanité et catholicité se trouvaient une même chose, et les Visigoths n’eurent pas de plus implacable ennemi, parce qu’ils étaient ariens. À peu près indifférent entre les factions romaines qui se disputaient et s’arrachaient l’une à l’autre la domination dans ces temps malheureux, il recouvrait tout son patriotisme en face des Barbares, qui menaçaient la foi catholique en même temps que la nationalité romaine. Le citoyen puisait dans la religion une ardeur toute nouvelle de conviction et de dévouement, tandis que la religion revêtait aux yeux de l’évêque la forme d’une cause politique.

Sidoine apporta dans l’administration de son église l’expérience