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d’un homme rompu aux affaires. Curieux de tout voir par lui-même, il parcourut plusieurs fois le territoire de sa juridiction, redressant les abus, se faisant l’avocat de toutes les plaintes vis-à-vis des magistrats, des gens de guerre, et même des Barbares, se constituant en un mot le défenseur de la cité d’Auvergne contre toutes les oppressions. Il sortait même volontiers des limites de sa cité pour patronner ailleurs quelque cause d’intérêt public ou privé ; sa correspondance est pleine de lettres adressées dans ce sens soit aux évêques, soit aux magistrats et aux citoyens influens des autres provinces. Une véritable passion de charité l’animait. Dur et austère pour lui-même autant qu’indulgent pour autrui, le patrice-évêque, au milieu des splendeurs de son rang, avait presque les habitudes d’un anachorète ; la nourriture la plus simple était la sienne, il jeûnait tous les deux jours et se soumettait aux pratiques de mortifications et d’humilité auxquelles on attachait alors l’idée de la perfection morale. « Sa vie, suivant une belle expression de Grégoire de Tours, fut sainte, d’une sainteté éminente et magnifique. »

Une anecdote racontée dans une de ses lettres nous peint assez bien la métamorphose qui s’opérait dans les habitudes de ces nobles Romains, qu’une bonne inspiration et quelquefois une erreur du peuple enlevaient à la vie du siècle, pour les jeter sans transition dans celle de l’église. Quelques années avant son élection, Sidoine avait fait un voyage à Toulouse pour certaines affaires, et chemin faisant l’idée lui était venue de visiter dans les montagnes du Gévaudan ou du Rouergue un de ses amis, nommé Maxime, dont il n’avait pas de nouvelles depuis longtemps. Arrivé à la maison qu’il connaissait bien, il entre, et dès le premier abord il est frappé du changement qu’il aperçoit dans son ami. Ce n’était plus l’homme du monde, le dignitaire romain, se présentant le front épanoui, la tête haute, la voix retentissante : l’attitude du maître était humble et modeste, sa parole contenue, ses traits avaient pris de la gravité, son visage de la pâleur. Il portait la barbe longue et les cheveux courts. Sa chambre à coucher avait pour tout ameublement quelques sièges d’une simplicité rustique ; une toile grossière en fermait l’entrée en guise de voile, et l’on n’y remarquait ni lit de plume ni tapis de pourpre. Au dîner, la table se trouva servie convenablement, mais frugalement, avec plus de légumes que de viandes, et les mets tant soit peu recherchés qui vinrent y prendre place étaient destinés aux hôtes : Maxime n’y toucha point. « Qu’est-il donc arrivé de votre maître ? demanda Sidoine en prenant à part un des serviteurs de la maison ; est-il moine, ou prêtre, ou pénitent ? — Il est évêque, » répondit celui-ci. Sidoine, tout ému, alla se jeter au cou de son ami, qu’il embrassa tendrement. On peut supposer que ce fut là l’idéal