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dans les remblais du chemin de fer qui parcourt le Dorsetshire. Là dorment d’un sommeil de pierre les plus effrayantes créatures que le monde ait jamais vues. Ces grands sépulcres ont été ouverts, et ces dragons des anciennes mers ont apparu. Les carrières de Lyme-Regis sont le principal cimetière de l’ichtyosaure ou poisson-lézard[1]. Ce léviathan au gros œil entouré d’un disque osseux est un des premiers géans océaniques dont la masse s’élance de l’abîme des âges. Il n’y a peut-être point de reptile éteint dont les mœurs, déduites des caractères organiques, soient aujourd’hui mieux connues que celles de l’ichtyosaure. L’animal vivait dans la haute mer, mais il cherchait de temps en temps les rivages ; il rampait sur la grève, recouvert d’une peau molle, semblable à celle de nos cétacés, car l’ichtyosaure fut la baleine de son temps. Sa voracité était prodigieuse. Le docteur Buckland a trouvé, sous les côtes d’un exemplaire fossile, à l’endroit où devait être placé l’estomac de l’animal, la preuve que ce monstre ne se contentait pas de vivre sur ses voisins plus faibles ; il dévorait sa propre espèce. À côté de lui vivait le plésiosaure au long cou, dont les formes nous semblent aujourd’hui chimériques : vous diriez le fantôme d’un rêve. Potentats des mers, les plésiosaures et les ichtyosaures se sont chauffés au même soleil, sur les anciens rivages où croissaient de grandes arondinacées, des bambous, des palmiers, dont on retrouve les débris, et qui montrent que le climat de l’Angleterre ressemblait alors au climat actuel de l’Afrique. Ces terribles rivaux se sont fait la guerre ; ils se sont mangés entre eux[2]. Mais de toute cette création bizarre, qui annonce que la nature a eu, comme l’humanité, son âge fabuleux, l’être le plus extraordinaire est encore le ptérodactyle. Chauve-souris des anciennes nuits, il volait, plongeait, nageait, rampait, marchait comme un des démons du Paradis Perdu, car la terre, le ciel et l’eau lui avaient été donnés en partage. Au milieu de ces merveilleuses légendes de la nature, on éprouve dans les carrières du Dorsetshire, vastes nécropoles, un sentiment d’admiration, de terreur et de malaise. Quand on songe que tout cela a existé et, avec Lyell, que tout cela pourrait renaître, si des changemens en sens inverse de ceux qu’a subis la surface des îles britanniques y ramenaient le même climat et les mêmes conditions de la vie, on croit voir le ptérodactyle ouvrir dans les ténèbres ses ailes de vampire.

Du Yorkshire, au nord-est, jusqu’au Dorsetshire, au sud-ouest, s’étend

  1. Il faut voir au British Muséum le magnifique exemplaire de l’ichtyosaure platyodon découvert presque entier à Lyme-Regis. Sous cette tablette de pierre illustrée par le colossal fossile sont les ruines d’un autre ichtyosaure plus énorme encore. Un spécimen aussi curieux est l’empreinte d’une nageoire postérieure recouverte de son tégument.
  2. On a trouvé dans les côtes d’un ichtyosaure des fragmens d’os qui ont appartenu à un plésiosaure.