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soufflant l’ouragan et mettant en pièces Osiris, c’est-à-dire l’Égypte, la patrie divinisée. Chez les Grecs, l’imagination nationale n’est pas moins féconde en pareils fantômes ; les tribus adverses deviennent dans la légende des géans à cent têtes qui entassent les montagnes et sont écrasés sous les volcans, ou bien de hideuses figures à queues de serpens, des hydres, des pythons, tandis que les héros du pays, les Hercule, les Apollon, se transfigurent en divinités.

La critique, c’est-à-dire le jugement libre et ne relevant que de la vérité, est arrivée fort tard, mais elle est arrivée, et elle a créé l’histoire, à l’aide surtout de l’écriture, qui fixe la parole contemporaine et porte un témoignage inaltérable. Il semblerait donc que chez nous, peuples raisonneurs, munis d’une critique si expérimentée et de documens immenses, il ne devrait plus y avoir lieu aux formations mythologiques dans l’histoire. Peu s’en faut cependant. Il y a toujours en nous malheureusement, à la naïveté près, cette même mauvaise tendance à altérer la vérité, et cela par les mêmes causes et pour le même objet. Faire l’apothéose des siens, tracer des portraits repoussans du parti contraire, remonter même très haut dans le passé pour atteindre les ancêtres, choisir dans un parti tout ce qui l’honore et dans l’autre tout ce qui peut le souiller et le noircir, tel est le procédé qui trop souvent encore construit sous nos yeux, aux dépens de l’histoire équitable, des mythes factices qu’on veut faire passer pour elle. C’est principalement au moyen âge que ce procédé s’applique depuis quelque temps. Pour les uns, le moyen âge, pris en masse, malgré quelques petites taches, est un idéal qu’on peut opposer avec avantage aux temps modernes, en dépit des perfectionnemens d’ordre public, d’éducation, de travail et de bien-être matériel que les générations ont transmis et accumulés. Ceux-là ne nous montrent que sainteté dans les cloîtres, hospitalité et protection dans les châteaux, joie et pureté de mœurs dans le peuple. Vous ne voyez alors que preux chevauchant paisiblement à travers champs et devisant de chastes amours ou de combats pour la justice, comme au temps d’Arthur de Bretagne. Il semble, à les entendre, que la barbarie germanique n’ait pas laissé de traces, et que, vers le Xe ou XIe siècle, une fée toute-puissante ait effacé d’un trait tous les vestiges de la conquête et de l’anarchie carlovingienne. Pour les autres, le moyen âge est un enfer ; ce n’est qu’un cri de douleur, avec écho de menaces et d’outrages. Leurs récits ne sont, pour ainsi dire, qu’un choix de crimes nobiliaires et d’oppressions ecclésiastiques ; il n’y a de vertus que pour les bourgeois et le peuple : qu’y manque-t-il pour arriver à une vraie mythologie ? Supposez nos moyens d’information historique aussi imparfaits, que dans l’antiquité ; imaginez, pour un moment, que tous les documens qui