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CÔTES DE PROVENCE.


Longue nuit de malheur ! — Quand fut tombé l’orage,
Hélas ! il fallut voir les naufragés meurtris
Se grouper sur le roc, sans abri, sans courage,
L’œil tourné vers la mer, qui, trois jours, au rivage
Apporta les débris !


III.

LA CALANQUE[1]


Ils avaient tout un jour, obstinés à leur tâche,
Travaillé du marteau, du rabot, de la hache :
Charpentiers d’aventure, ils rajustaient le flanc
De leur chaloupe usée, au pont mince et branlant,
Qui hors du flot gisait. — Hélas ! la chère barque
Des injures du temps montrait plus d’une marque.
Eux, sur chaque blessure étendaient le goudron ;
Ils renforçaient l’endroit où porte l’aviron ;
Ils clouaient, non sans art, une planche à la poupe ;
Dans la moindre fissure ils inséraient l’étoupe,
Armant avec effort contre les chocs nouveaux
Ce vieux bois, fatigué par tant de durs travaux.
L’un des trois compagnons, vieillard solide et svelte,
Avait l’aspect hautain d’un ancien patron celte ;
L’autre, son fils peut-être, en la vigueur des ans,
Était l’athlète nu, fier de ses bras luisans.
Le troisième, enfant blond, qu’à l’œuvre on associe,
Offrait les clous, tendait la varlope ou la scie,
Heureux de s’employer en ce commun labeur.
Je les vis tout le jour s’agiter en sueur.
Vers midi seulement, ouvriers sans reproche,
Ils prirent à la hâte un repas sur la roche,
Dîner frugal, de noix et de fromage sec.
La vague cependant, sur l’algue et le varech,
Bondissait, et, du roc venant laver la marge,
Leur chantait sa chanson mélancolique et large.

C’était en un vallon dont le sol raviné
Porte à regret un pin sous la bise incliné,
Du monde primitif inculte paysage,
Ornière entre deux monts creusée, — âpre et sauvage,

  1. En Provence, nom des petites baies où s’abritent les barques de pêcheurs.