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Qui semble un double mur de pierres sans ciment,
Et sur la vaste mer débouche brusquement.

Comme le jour tombait, — l’œuvre achevée à peine,
On poussa vers les eaux la glissante carène.
Chacun d’eux sur les bancs s’empressa de s’asseoir.
Le foc, rouge haillon, s’ouvrit au vent du soir ;
Ils partirent sans bruit sur la mer sombre et haute :
Pensif, je les voyais s’éloigner de la côte,
Et je songeais à toi, — mortel qui, le premier,
Jetas aux flots le tronc d’un chêne ou d’un palmier,
Et sur cet appui frêle, en ta sainte démence,
Allas seul affronter l’horreur de l’onde immense !


IV.

LES BANCS DE MARBRE.


Sur les vertes hauteurs qui dominent la rade,
De larges blocs de marbre au hasard sont couchés,
Forts débris que le temps péniblement dégrade,
Et dont le vent polit les angles ébréchés.

Ces fragmens, où survit la beauté des vieux âges,
Ont-ils jadis plané dans quelque saint fronton ?
En face de la mer, sur nos antiques plages,
La Grèce eut-elle un temple ? On le dit. — Qu’en sait-on ?

Le temps, qui se complaît en ces métamorphoses,
Qui de l’autel des dieux fait un vil abreuvoir,
A fait de vos débris, marbres aux veines roses,
Des bancs, de simples bancs, où chacun peut s’asseoir.

Voisins de la cité qui s’étend au rivage, De ses plus vieux marins ils sont le rendez-vous. Là viennent chaque jour, fidèles à l’usage, Ceux à qui le repos est nécessaire et doux.

Fronts, caducs, blancs cheveux, épaules affaissées,
Les uns mornes, ceux-là causant à demi-voix,
Ils sont là, côte à côte, — ainsi qu’aux portes Scées
Les vieillards d’Ilion rassemblés autrefois.

Ils y viennent surtout en novembre, en décembre,
Quand brillent les soleils qu’aime un sang refroidi,